Au cours de la journée du 27 octobre 1882, des pluies diluviennes accompagnées de vents violents s’abattent sur la ville. Plusieurs quartiers sont touchés : la Foux, le Châtaignier, le Riou et la Bocca. Le bilan humain fait état de six morts et de plusieurs disparus.
Les Cannois de l’époque se souviennent du violent orage de pluie et de grêle qui, dans une moindre ampleur, quelques décennies plus tôt, avait dévasté les habitations et les cultures, détruit le pont sur le Châtaignier (20 août 1825).
Ces évènements météorologiques surviennent depuis la nuit des temps, comme un mal chronique, le plus souvent après la Saint-Michel (29 septembre). Et malheureusement, ils n’ont pas fini de faire parler d’eux. Le 3 novembre 2015, une nouvelle inondation tragique survient à Cannes, selon un scénario qui rappelle en tous points celui du 27 octobre 1882. Retour en arrière, pour ne pas oublier qu’avant 2015, il y a eu 1882…

Les inondations dans le Midi. Aspects du boulevard de la Croisette à Cannes, le 28 octobre 1882.
L’Illustration, n° 11 novembre 1882.
Une catastrophe d’une exceptionnelle intensité
Le maire de Cannes, Eugène Gazagnaire, déclare que « jamais la tempête et l’inondation ne se sont manifestés ainsi avec autant de violence ». Les ruisseaux de la Foux et du Châtaignier, encore non voûtés, gonflent soudainement sous l’effet de fortes pluies. L’eau atteint jusqu’à deux mètres à certains endroits, transformant les ruisseaux en torrents destructeurs, renversant murs et clôtures, inondant une partie de la ville et des quartiers en contrebas.
Les ponts de la Foux, du Riou et de la Bocca sont emportés. La Croisette au niveau de la rue Macé est ravagée. Les établissements de bains Bottin sont anéantis. Huit grands navires sont jetés sur la côte. Ce même jour, des pluies diluviennes s’abattent sur la Bocca : les ruisseaux de la Roquebillière, la Frayère et la Maïre ainsi que la Siagne transforment le quartier en un immense lac. Plus de soixante personnes sont évacuées, la voie ferrée est emportée sur plus de 30 mètres. Pompiers, agents de police, gendarmes et habitants participent aux secours, de manière héroïque. La totalité des dégâts se chiffre à un peu plus de trois millions de francs.
Les inondations à Cannes
Les Echos de Cannes, n° du 29 octobre 1882
Archives municipales de Cannes, Jx2
L’urbanisation et la voie ferrée mises en cause
Au lendemain des inondations, le conseil municipal de Cannes demande officiellement au préfet une étude technique sur les cours d’eau (Riou, Foux, Châtaignier) afin de mieux les réglementer et prévenir un nouveau drame. Selon un rapport de l’architecte de la Ville et les constatations du commissaire central, la tranchée et le remblai du chemin de fer ont aggravé la catastrophe : les eaux pluviales, canalisées par la pente artificielle de la voie, ont formé un torrent dévastateur en se joignant à la Foux, provoquant des dégâts majeurs et la destruction du pont de chemin de fer. Le conseil municipal alerte sur les risques persistants pour la plaine de Laval et exige que le maire dénonce ces défauts de construction au ministre des Travaux publics, réclamant des travaux correctifs urgents.
M. Barbe, ancien maire de Cannes, décrit pour sa part, dans une brochure, l’inondation soudaine et dévastatrice du 27 octobre 1882. Il souligne que, contrairement à la crue similaire de 1825, les dégâts ont été bien plus graves à cause des transformations survenues dans la vallée du Cannet : urbanisation, construction de la voie ferrée et disparition des espaces naturels qui permettaient autrefois aux eaux de s’écouler librement vers la mer.
Pour éviter une nouvelle catastrophe, une commission d’ingénieurs et d’architectes proposent huit mesures principales :
- L’insuffisance notable du lit de la Foux, et la nécessité de créer un autre lit parallèle (idée abandonnée par la suite) ;
- Réglementer les alignements des ruisseaux ;
- Exiger que les sections fixées soient rigoureusement suivies et exiger l’enlèvement des tuyaux qui viennent obstruer la section des ponts ;
- Faire établir des murs solides pour l’encaissement de ces ruisseaux et surtout interdire les murs en pierres sèches ;
- Ne rien laisser jeter pouvant obstruer la largeur déjà insuffisante du lit des ruisseaux ;
- Interdire aux riverains la construction de maisons en planches ou en briques, non plus d’y établir des chantiers ne remplissant pas les garanties de sécurité au point de vue d’un encombrement en cas de la crue des eaux ;
- Observer que les égouts existants et ceux à établir ne réduisent pas la section des ruisseaux ;
- Pour la plaine de Laval, la création de nombreux débouchés sous la route nationale et surtout sous le chemin de fer.
Assister, porter secours aux sinistrés
Un élan de solidarité s’organise après la catastrophe pour collecter des fonds en faveur des sinistrés. Une souscription est lancée avec dépôt des listes en mairie. Parmi les évènements les plus remarquables, une tombola et une kermesse du Brougham-Club permettent de récolter près de 20 000 francs. Parmi les lots offerts les plus prestigieux on compte : un vase de Sèvres offert par le Président de la République (Jules Grévy), un vide-poche avec porte-bouquet offert par M. le Maire et ses deux adjoints, un âne africain ou encore 3000 mètres de terrains, en deux lots, situés à La Peyrière. Au total, ce sont plus de 81 000 francs reçus par souscriptions soit 100 000 francs avec les produits reçus de la tombola du Brougham-Club et celle organisée à Nice.
La municipalité charge la commission administrative du bureau de bienfaisance de faire la répartition des secours. Les quartiers sont divisés en onze sections. Une commission spéciale installée en permanence à la mairie reçoit les déclarations des personnes qui ont soufferts des préjudices en dehors des sections.
Les sinistrés sont répartis dans quatre catégories :
- Sinistrés ne devant subir aucune réduction
- Sinistrés plus heureux pouvant supporter une petite réduction
- Sinistrés plus favorisés encore pouvant subir une réduction plus forte
- Sinistrés dont l’état de fortune est notoirement connu et qui ne devront avoir droit à aucune indemnité
Plus de deux cents personnes, familles ou institutions se voient allouer des sommes d’argent en dédommagement des pertes qu’elles ont subies.
Répartition d’un don de mille francs destiné aux victimes de l’inondation du 27 octobre 1882
17 janvier 1883
Archives municipales de Cannes, 1J69
La salubrité à Cannes : une préoccupation majeure
À la fin du XIXe siècle, la question de la salubrité devient centrale à Cannes, notamment en raison de l’afflux croissant d’étrangers, surtout britanniques (2 800 hivernants en 1877, 6 000 en 1881). Inquiets des rumeurs relayées par la presse londonienne sur l’insalubrité de la ville aggravée par l’inondation du 27 octobre 1882, les résidents anglais demandent une expertise indépendante. Afin de rassurer ses hôtes de marque, le conseil municipal mandate alors M. Douglas Galton, ingénieur anglais renommé, pour évaluer les travaux d’assainissement déjà réalisés et ceux à prévoir. Son rapport, publié à Londres en 1883 sous le titre « Rapport sur les travaux de drainage proposés pour la Ville de Cannes », rend compte de la situation sanitaire de la ville et présente des recommandations pour faciliter l’évacuation des eaux sales des hôtels et villas ainsi que celle des eaux pluviales, particulièrement lors d’épisodes de pluies intenses.



