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Sophie Ingallinera

Ikigai en confit

- Tiens, et si on parlait de l’ikigai ?

- Ikigai ? C’est quoi encore cette invention ? Un truc Gay Pride ? C’est pas encore un truc d’américain sur les homosexuels qui secouent leurs fesses avec des plumes dans le derrière ? C’est encore un truc d’estranger ? Y sont fous ces américains !!!

- Bah non, ce n’est ni japonais, ni américain, ni exotique, c’est juste une réflexion philosophique concernant notre propre harmonie de vie.

- Ouh là, ça y est, qué fatigue, j’ai déjà mal à la tête… Vas-y, explique-nous le Ikigai. (Il vaut mieux aller dans le sens des fous plutôt que de les contredire, la salive est très souvent bénéfique à économiser.)

- Le terme se prononce « Ikiguaille », et l’origine vient du Japon, de l’île d’Okinawa.

- Je sais même pas où est le Japon…

- Les sushis, les algues, les samouraïs, les sumos, les kimonos, la nanotechnologie, le judo, le futon, le thé, les bambous et le zen. Et puis l’île d’Okinawa c’est l’endroit où il y a le plus de centenaires en bonne santé sur la planète.

- C’est quoi les « souchis » ?

- Les saveurs du poisson cru.

- Ah ouais… Mais là-bas, ils ont pas le temps de faire cuire le poisson ? Alors il le mange cru, parce qu’il travaille trop ? C’est pas eux qui ont eu une centrale nucléaire qui a explosé, qui nous a fait le truc du pyjama ?

- Pyjama ?!?

- Ouais, la centrale de Fukushima, ça veut dire « faut que je mette mon pyjama ».

- Bah oui, ça y est ? T’as ton neurone qui s’est connecté ? Comme le nuage de Tchernobyl, qui était Ukrainien qui a dépassé l’Europe mais le vent a bien respecté les frontières. Les allemands, les italiens, les espagnols sauf la France…

- Et ouais, bah nous les français on est les plus forts !

- C’est cela.

- Bon alors, c’est quoi ton truc de Nikki Lauda là ?

- Il est nullement question de Nikki Lauda, je te parle de ikigai. Le bonheur pour faire simple.

- Ah d’accord, d’accord, ça me parle.

- Tu sais, dans la vie, il n’y a pas que le rosé bien frais et les cigales.

- Il y a aussi la tapenade, les grives et la Garrigue. Et puis la belote !

- En quelques sortes, tu es un chef d’escadrille…

- ?!?

- Si les cons volaient.

- T’es qu’un prétentieux à la con.

- Peut-être…

- Reviens sur le ikigai. Ne trouves-tu pas que le confinement est propice à la réflexion sur le ikigai ?

- Confinement propice ? Mais tu es pas un peu fou toi ? Les enfants qui crient toute la journée, qui ont toujours faim, la télé à fond, les consoles Nintendo allumées, ma femme qui se prend pour Paul Bocuse de Picard et il faut attendre une bonne semaine pour que Nespresso livre et moi sans café, je peux pas réfléchir. Quand enfin arrive la livraison, je bois beaucoup trop de café car je me rattrape, donc j’ai la pissote. Et quand j’ai la pissote, j’attends comme un malheureux devant la porte des toilettes qu’il y en est un qui se soulage vite.
Sans parler de la guerre pour sortir le chien… Et puis c’est bonne excuse, le chien il est jamais sorti autant. Et puis j’aide ma bonne femme pour le linge… Et puis j’ai récupéré la belle-mère, au départ c’était pour quinze jours… Là, ça a triplé ou quadruplé, je me suis fait avoir comme un con. En plus, elle est sourde donc la télé à fond et elle a toujours un truc contre moi. Mes copains avec qui je prenais le café avant d’aller bosser, c’est pareil.
Et en plus faut s’habiller. Moi je croyais qu’il suffisait d’avoir un masque et des gants. Je voulais faire le chantier le matin, tôt, et prenant des croissants, j’ai évité la garde à vue de justesse. Ils sont pas clairs ! Faut être habillé et en plus porter gants et masque. À croire qu’on joue tous au docteur. J’en ai marre de porter des pataugas, les chaussures de ville ça fait du bruit. Le rosé, comme il n’y a plus de place au frigo, je le bois pour pas le gaspiller et après j’oublie. Le soir je suis fatigué, le matin ça reprend trop. Alors, la réflexion, hein ?!?

- Il est nécessaire de savoir d’où l’on vient, de savoir où l’on va, définir ses priorités, se connaître soi-même pour mieux s’aimer, aimer les autres, chanter, écrire, jouer un instrument de musique, danser, jouer au rugby, nager, pêcher sur un pointu, ramener de la rascasse… Et puis de par ces choses, ça me rend malheureux, un peu comme par le passé.

- Ah bon ? Justement l’analyse du passé permet d’envisager le présent et le futur de manière plus sereine. Ma vocation, c’est pas de rien foutre. Ça c’est sûr, je m’emmerde trop ! Ça fait quinze jours qu’on range les placards avec bobonne. Je peux même pas l’embrasser, il y a les enfants au milieu, la belle-mère qui me surveille d’un mauvais œil, le chien qui dort, même le canari s’emmerde sans parler du poisson rouge. Entre nous, il y a de quoi devenir dingue à tourner dans un putain de bocal…

- Bah tiens, justement en parlant de bocal, nous, les êtres humains, tournons en rond dans notre bocal à nous qui est la Terre. As-tu trouvé une vocation ? Une activité qui te passionne ? Que tu as envie de partager et de t’y remettre ? La raison pour laquelle tu te lèves le matin ?

- J’ai bien une petite idée derrière la tête, mais comme me disent mes enfants, je suis hors sujet.

- Tu m’énerves, tu m’énerves…

- Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? On est tous confiné, on a tous envie d’aller ailleurs, on n’y va pas. Du moment que j’ai deux fils de pâtes à manger, le reste je m’en tamponne le coquillard !

- Tu veux pas nous faire le féru d’hésitation politique ?

- Non, mais vé, ce président je l’aimais bien. Et cette expression résume tout.

- Ouais mais là tu me parles de quotidien. T’as pas besoin de sel ? T’as pas besoin de poivre ? Un peu de piment, que diable !

- Oh, moi le piment ça me donne mal au ventre.

- Tu m’énerves, tu m’énerves…

- Quand même, le quotidien n’est pas la seule valeur dans la vie. Il y a la communication, le rire, les sourires, le partage, la joie, les amis, la famille, la patrie, l’effort, les sentiments, les couleurs, les parfums, l’air, le feu, la terre, l’eau et les valeurs spirituelles.

- Confinement propice ? Mais tu te fous de moi ! Tu veux que je t’en fasse ? De la confiture à l’ikigai ? Tu veux me faire monter le diabète et la tension et que je m’estouffe comme une tomate sèche ? Et ton copain Nikki, il me parle sur un ton, on dirait un parisien…

- Un parisien du soleil levant, en quelque sorte…

- Peuchère ! Tu te crois intelligent ?

- Arrête un peu de faire le fada !

- Moi ! Fada ? Tu mérites vraiment d’avoir la pécole !

- C’est quoi la pécole ?

- Ah ouais, Môssieur je-sais-tout ne sait pas ce qu’est la pécole ? Hé ben vé ! Je te souhaite d’avoir la pécole, d’avoir la peau du derrière qui te gratte, que les bras te poussent courts comme cela tu pourras pas te gratter…

- Oh, mais c’est méchant ça !

- Peut-être et en plus l’apéro sans rosé, c’est comme le corona sans coronés.

- Pff !

- Cent ans et en bonne santé ? Je suis loin des cent ans et j’ai déjà mal partout… Enfin presque… Pour moi être en bonne santé, c’est faire la fête au village avec le pâté, les jambons, un sanglier grillé, la tribu autour et Abraracourcix qui lève son verre et nous on fanfaronne, on est bien…

- Bah voilà le bonheur ! Mais ce n’est pour toi qu’une expression collective.

- ??? Je comprends pas tes mots de parisien. Et puis de toute façon, tes petits vieux de cent ans qui gesticulent sur l’herbe avec leurs bras et leurs jambes… En hiver, il fait froid. En été, il fait chaud, je transpire et moi je sais faire que les bras d’honneur.

- Dis-moi un peu, quelles sont tes priorités ?

- Mes priorités fada ? Là, tout de suite j’ai juste envie de t’en mettre une ! Coquin de sort, té !!! Après, t’arrête de me gonfler avec tes questions à la con. Je te dis que des priorités, moi, j’en ai pas. Tout ce que je veux, c’est que bobonne me fasse des petits plats, qu’elle nettoie la maison et tout et tout, qu’elle s’occupe des enfants que je puisse aller au bistrot pendant qu’elle est à la messe. Moi je ne veux pas travailler, je veux jouer à la pétanque et à la belote. Je veux pas de spectacle, ni de théâtre, ni de livre parce que ça va déranger l’esprit de bobonne. Puis un jour, elle va rencontrer un sale type comme toi qui va lui dire que la belle vie c’est elle. Alors que moi, je me tue à lui expliquer que la belle vie c’est de s’occuper de moi !!! Tu es marchand de couillonnade ou quoi ? Tu devrais rester à la ville à manger tout tes pesticides assaisonnés, ton pain industriel, ta confiture aux colorants, tes poêlées de légumes congelés, tes steaks hachés de bœuf surgelés et qui n’est même pas du bœuf, à boire ton lait qui a pas de goût et ton rosé qui a que la couleur. Tu sais même pas petit ce que c’est un bon bol de café avec des tartines de pain grillé avec du beurre, du vrai beurre et de la vraie confiture. Si tu veux me parler soi-disant des œufs de poule qui sont handicapés, rastaquouères et à peine jaunes, je te parle pas du civet de lapin aux olives, des pâtes fraîches, des fruits, des vrais, ceux avec les asticots et des délicieuses tartes de bobonne. Même l’eau, chez toi elle est à la javel dans des bouteilles en plastique, c’est pire. Et l’informatique ? C’est pour gens bébête qui se croient instruits parce qu’ils savent jouer avec le mulot. Mais t’as quoi dans le cerveau ? Un truc qui te mange le cerveau ? Aaah, tu m’enlève l’envie de vivre !…

- Bon d’accord. On se le fait cet apéro ?

- Aller zou gallinette ! Tu sais quand même, je t’aime bien parisien mais chez moi le ciel, il est toujours bleu et j’aime ça ! Tant qu’il y aura l’apéro, les abeilles, la lavande et les cigales… Tu sais, nous, on parle avec le cœur et surtout avec les mains. Mon Ikigai à moi, c’est l’apéro et tout ce qui va avec. Après une longue journée de boulot, c’est agréable. L’ikigai se mesure aussi avec ton boulot.

- Et bah voilà, c’est pas la peine que tu m’expliques les ingrédients de recette de cuisine. Rappelle-moi ton boulot juste !

- LE super cadre informaticien de chez Jaune… Et toi ?

- Pompiste d’une grande surface.

- Aller… Tchin !

 

Confit

Trois éléments nous différencient des espèces animales et végétales, en dehors de la vie et de la mort ou du début et de la fin : l’humour, l’amour et l’art.

L’humour et l’art sont l’application de règles esthétiques, une virgule par ci, une virgule par là. Même les mots croisés peuvent déclencher une irrésistible envie de rire.
L’humour et l’art peuvent s’apprendre, difficilement mais peuvent s’apprendre.

L’amour est multicolore et bigrement nuancé. Il ne connaît pas le temps, plus exactement n’a pas de repère dans la sphère spatiale. L’amour sans sexe est l’amitié, l’amour de soi est le civisme, l’amour des autres est de vivre en paix. Le sens de l’humour et le sens artistique sont-ils nécessaires au sens de l’amour ? L’amour ressemble à l’interactivité entre le sens de l’humour et le sens de l’humeur. Question de a, de hu, de mœurs, de meur et de mour…

La vie n’est pas soumise au sens de l’humour ni au sens artistique. Moralité : être neuneu, écouter Stromae devient améliorable en écoutant Mozart et rire de l’humour décalé des Monty Python. Et l’amour ? Est-ce inné, est-ce acquis ? Est-ce que l’amour s’apprend ? La maladie d’amour résume tout. Disons que dans l’amour, il y a trois phases : avant le confinement, déroulé complexe. Pendant le confinement, déroulé très, très, très complexe. Et après le confinement, déroulé indissoluble. Ce n’est être pessimiste ou optimiste, c’est factuel.

Peut-on appliquer un raisonnement mathématique à l’amour ? Le calcul de l’ordonnée par l’abscisse sur la fonction f(x) sur la racine carrée du logarithme népérien, cela donne quoi ? Rien égale zéro. Genre, tu restes dans ton coin, tu te fais tout petit, petit, petit, tu poses ta tête sur tes genoux et tu attends que ça passe. Ça ne passe pas. Pourtant, il y en a avec qui ça doit bien passer.
Le confinement c’est un peu une lune de miel. Il y a de forts relents de lune de fiel, sans parler des hommes qui bastonnent leurs femmes et leurs enfants, histoire de se dégourdir un peu. Et après le confinement, il y aura les divorces, les avocats, et tout le tralala… Les clés de la reprise économique sont là. Qui a eu la garde des enfants pendant le confinement ? Et patins et couffin… De beaux jours en perspective… Et toutes celles et tous ceux qui entretenaient une relation extra-conjugale sur le lieu de travail, comment font-ils ? Et bah, ils ne font pas. Ils s’appellent prétextant un courrier à modifier, un chiffre à estimer. C’est le même bruit sourd qui résonne à chaque raccrochage téléphonique : ce putain de confinement ne finira jamais ! Et dire que nous, on ne pourra pas se serrer les mains, se toucher les épaules, on se verra à deux mètres en parlant haut et fort, cela ne servira plus à grand-chose de se parfumer sauf si vous utilisez la bouteille entière. La bouteille entière, ça pue et ça coûte trop cher. De toute façon, on a le temps. Que patience !

Peut-on être heureux pendant le confinement ? Vaste programme, comme la réponse de « mort au con ». Peut-on être heureux ? Ou plutôt avons-nous développé une aptitude au bonheur ? Cette capacité est en chacun de nous, elle est inégalitaire puisque certains l’exacerbent plus que d’autres.

Le propos du jour ou du moment ou des mois ou même des années à venir…, notre aptitude au bonheur est-elle restée intacte ? Est-elle toujours profondément inégalitaire ? L’inné et l’acquis, le savant mélange de notre chimie organique se révèlerait plus naturellement en temps de confinement.
Cette aptitude au bonheur est libératrice. Libératrice du confinement ? Libératrice d’un quotidien chronophage ?

Trouver la joie dans ses tourments de la vie quotidienne, existe-t-il un mode d’emploi ? Mode d’emploi, une notice non sous-titrée en hiéroglyphes ou autre. Non, elle n’existe pas…

En plein confinement, partager un repas avec des inconnus, ajoute une saveur insoupçonnée à ce même repas. Il suffit d’imaginer que certaines et certains sont seuls en tête à tête avec eux-mêmes, encore être seul avec soi-même, c’est vivable. Mais, lorsqu’on est seul entre quatre murs, que le jour et la nuit se confondent, les mots s’entremêlent. Quel était le guide de survie de Robinson ? Rien que le titre : Vendredi ou les limbes du Pacifique, m’a toujours fait rêver. Alors, elles vous plaisent les pâtes au beurre ? Un peu plus de sel ? Un peu plus de poivre ? Un peu plus de curcuma ? Un peu plus de noix de muscade ? Un peu plus de paprika ? Un peu plus de piment ? Un peu plus de basilic ? Un peu plus de ciboulette du jardin ? Oui à Épicure ! Oui à Aristote ! Oui à Platon ! Oui à Socrate ! Et oui à Spinoza ! Il suffit d’imaginer Le Banquet avec Platon, avec Socrate, avec Pythagore, avec l’Abbé Pierre, avec le Dalaï-lama, sans oublié Bastet.

Bah voilà le jour commence à avancer jusqu’à noircir et pour revenir clair et vaporeux. Et comme dit la chanson, « tous les jours c’est la même chose. » La logique implacable de la routine nous dévore petit à petit. Et si Docteur Spinoza nous prescrivait LE remède ?

- La joie.

La joie transcende, la joie que nous inspire Spinoza pour traiter les maux du quotidien nous permet de nous élever au-dessus des miasmes morbides. Bah oui, Baudelaire l’écrit, nous n’avons rien inventé, là est notre salut. Élevons-nous, élevons-nous !

Nous ne sommes pas tous les apprentis de Spinoza, mais même pour des personnes qui ignorent qui il était, c’est aussi à nous de jeter la bouée de la joie aux naufragés du confinement. Là est le remède du virus, du confinement. En effet, nos valeurs s’effondrent, tout comme nos certitudes. Nous devons trouver nos priorités. L’échelle des valeurs se réduit de plus en plus, nous devons revenir à une valeur essentielle qui est la joie. La joie qui devient force, celle qui a permis à Nelson Mandela de vivre et de combattre, celle qui a permis à l’évadé d’Alcatraz de nager dans les eaux glacées de la baie de San Francisco, celle qui a permis à Florence Arthaud de survivre à son naufrage maritime, celle qui a permis à Papillon de fumer avec des lépreux, celle qui a permis à Jean Moulin et Hélène Vagliano de ne pas céder sous la torture, celle qui permit à Gandhi de lutter pour la liberté. La force qui permit à Simone Veil de démontrer que le combat se conjugue avec humanité, celle qui permit à Mère Theresa de démontrer que l’amour de Dieu existe, celle qui permit à Martin Luther King de prouver qu’un rêve pouvait devenir réalité.

Résistons !