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Maturine a livré son dernier secret

1er Prix Jeune

De SIGHIRDJIAN Laura

Je me suis toujours dit qu’il fallait avoir une « bonne excuse » pour écrire son histoire dans l’espoir d’être lu un jour. Mais je ne pensais pas qu’elle arriverait si tôt. Quelques mots de présentation s'imposent. Tout a commencé il y a 16 ans. Ma mère était fan depuis son enfance de la série américaine « La Petite Maison dans la prairie » ; quand je suis née, sans hésiter un instant, elle pensa à Laura Ingalls, l’héroïne, avec dans son for intérieur l’idée que je lui ressemble un jour. Je devais donc m’appeler Laura et, pourquoi pas, suivre à ma façon les traces du personnage tant apprécié de ma mère en écrivant sur ma vie. Cannes est devenue mon Walnut Grove, ma terre d’existence et de passion. Depuis toujours, je prends plaisir à écouter les vieilles histoires et légendes de ma ville, car les plus belles ne sont pas celles que l’on trouve dans les livres mais celles que l’on déniche au travers de rencontres insolites. La genèse de mon histoire commence par une promenade sur l’île Sainte-Marguerite. En ce mois de juin 2015, la température approchait des 30 degrés et le soleil dardait ses rayons sur mon visage d’adolescente. Bref, une canicule qui m’incitait à rechercher de l’ombre au pied du fort. Sur mon chemin, je vis un monsieur âgé assis sur un banc en pierre. Ses traits tirés trahissaient une fatigue qui me poussa à lui demander s’il allait bien. Je m’approchais de lui d’un ton engageant : « Je peux vous offrir de l’eau ? » Il me regarda et avec un sourire déclina mon invitation : « Non, merci mademoiselle. Je n’ai pas soif. Je m’assois régulièrement ici car c’est là où ma grand-mère Maturine me racontait des histoires. As-tu entendu parler de Maturine ? ». Ce nom sorti d’une BD ne me disait rien. Et à vrai dire, je pensais plutôt à la chaleur qui me déshydratait qu’à ses vieilles histoires. Le vieil homme m’expliqua que le prénom de sa grand-mère était rattaché à jamais à l’île Sainte-Marguerite : « Durant la première guerre mondiale, elle était cantinière sur l’île. Pendant la seconde guerre, elle a caché des maquisards. Par la suite, elle a continué d’entretenir le fort et elle était la gardienne de ce lieu chargé d’histoire. » Au lieu de le saluer et de m’en aller, je ne sais pas ce qui me prit de l’interroger sur une légende que mon professeur d’histoire m’avait confiée : « Il paraît qu’il y a un tunnel qui part du Suquet et qui rejoint l’île Sainte-Marguerite. Votre grand-mère vous-en a-t-elle parlé ? ».

Le vieil homme courbé se redressa et un sourire illumina son visage flétri. « Tu vois, mon enfant, cette histoire-là, je l’ai entendue des dizaines de fois. Sache qu’elle ne tient pas debout. La mer est trop profonde entre le Suquet et l’île. La distance est aussi trop éloignée. Je vois que tu aimes cette île puisque tu t'y intéresses. Si tu reviens demain à 10 heures, je t’emmènerais dans la propriété d’une maison en vente où je te ferais découvrir un des plus vieux secrets de l’île. Ma grand-mère m’a indiqué l’embouchure d’un tunnel qui relie l’île Sainte-Marguerite à celle de Saint-Honorat. Un tunnel creusé par les moines il y a plusieurs siècles pour fuir les invasions. Viens demain et tu ne seras déçue ! ».  Sans en dire davantage, le vieil homme se leva prestement et repartit vers l’embarcadère, avec toute sa part de mystère. Du haut de mes 16 ans, je trouvais sa proposition étrange et décidais de ne plus penser à cette histoire qui, selon moi, ne tenait pas plus debout que celle racontée par mon professeur ! Seulement le soir, à table, je ne pouvais pas m’empêcher d'y repenser. Inévitablement, mes pensées étaient absorbées par la confidence de cet inconnu. L'idée me vint alors de rechercher sur l'ordinateur « Maturine Cannes ». Je ne trouvais rien ; j’essayais avec « Maturine île Sainte-Marguerite ». Toujours rien sur la toile. Et si ce monsieur était un vieux pervers qui m’entraînait dans un mauvais plan? Après tout, je ne le connaissais pas ! J’essayais de ne plus penser à tout ça et espérais que la nuit me porte conseil ! Je mis plusieurs heures à trouver le sommeil. Le lendemain matin, je décidais d'y aller. Cet homme avait trop éveillé ma curiosité pour que j'en reste là. Après avoir trouvé une excuse pour quitter le domicile familial, je me dirigeais vers le Quai Laubeuf. Quand je suis arrivée sur l'île, il était 9h45. Aussitôt, j'allais sur le banc où le vieil homme m'avait abordée la veille et l’attendis impatiemment. D'un coup, le vieil inconnu surgit de nulle part et me dit d'un ton amusé : « Bonjour mademoiselle, je suis content que tu sois venue ! Suis-moi » Je le suivis et nous arrivâmes devant une somptueuse propriété dont j'ignorais l'existence. Nous contournâmes le jardin avant de nous faufiler à travers le grillage distendu à un endroit. Apparemment, mon « guide » semblait familier du coin. Après avoir marché une minute dans la propriété, j’aperçus l'embouchure d'un tunnel qui ressemblait à l'entrée d'une cave à vin, recouverte de deux grandes portes posées horizontalement. Le petit-fils de Maturine avait donc raison ! Il me proposa d'entrer, j’acquiesçais. A l'intérieur, il faisait sombre et humide. J'avais du mal à distinguer le vieux. Cet endroit me donnait la chair de poule ! Nous marchâmes une dizaine de mètres dans une semi-obscurité avant de constater que le tunnel était bouché ! Je commençais à faire demi-tour quand soudain, une lumière m'éblouit. J'étais effrayée. Je courus immédiatement vers la sortie et je découvris un homme, planté devant moi avec sa lampe torche braquée sur moi. D'un ton ferme et autoritaire, il me lança : « Petite, que fais-tu dans ma propriété ? » J'étais sous le choc. Je n'osais pas desserrer la mâchoire face à cet homme d'une soixantaine d'années qui paraissait remonté. Il me demanda sèchement ce que je faisais là et je me trouvais fort honteuse quand je me rendis compte que l'inconnu qui m'avait emmenée jusqu'ici n'était plus là! Quand je me suis confondue en excuses et avouant vouloir vérifier l'existence d'une vieille légende, il ne chercha pas à comprendre. Comme s'il savait ce que je faisais là. Il radoucit sa voix et m'expliqua : « cette légende concerne certainement l'existence d'un tunnel qui reliait autrefois les deux îles. Sache qu'il est bouché depuis longtemps et que je ne veux surtout pas que tu en parles à qui que ce soit. Imagine que la presse apprenne cette histoire, ma propriété serait sûrement classée monument historique et je ne pourrai plus la vendre. Je dois la faire visiter à un célèbre acteur britannique la semaine prochaine. Si tu racontes ce que tu as vu, ce serait un désastre ! ». Il me raccompagna jusqu'à la sortie de son domaine et insista lourdement pour que je dévoile aucunement ce que je venais de voir. Quand il me serra la main, je lisais sur son visage une grande inquiétude. Je repris le bateau avec un sentiment partagé. Se taire ou revenir ? De retour à Cannes, je décidai de flâner un peu sur la Croisette afin de réfléchir à tout ça ; il fallait que je prenne une décision. Tout se bousculait dans ma tête. D'un côté je me disais que ce tunnel était peut-être un élément majeur de l'histoire ; et s'il cachait des secrets de la guerre ? D'un autre côté, je ne voulais pas causer du tort au propriétaire de la villa ! J'étais face à un véritable dilemme. La nuit commençait à tomber. Ce soir-là, la Croisette et ses boutiques de luxe me semblaient « ordinaires ». Assise sur une chaise bleue, la mer raisonne dans ma tête.

Je me disais que si je n'avais pas été chercher de l'ombre, ce jour-là, à ce moment-là, je n'aurais sans doute jamais rencontré le mystérieux interlocuteur et rien de tout ça ne serait arrivé ! Ce secret d'histoire venait de changer à jamais ma vie d'adolescente ! Soudain, j'eus une idée : si je racontais tout dans une lettre anonyme que j'adresserais à la mairie de Cannes, je serais indirectement responsable et ainsi personne n'entendra parler de moi ! Je saisis une feuille dans mon sac et commençai à écrire. Je me mis à tout raconter, depuis le début : le vieil inconnu, Maturine, le tunnel... tout. Je pris également le soin de rédiger un « post-scriptum » à l'attention du propriétaire, afin de lui expliquer que je ne pouvais pas faire autrement, que j'étais désolée pour lui, etc... Une fois ma lettre terminée, je la glissais dans ma poche et m'acheminais vers chez moi. J'étais épuisée tant la journée fut éprouvante. Cette fois, je n'ai pas peiné à m'endormir. Au petit matin, après m'être remémorée la journée précédente, je pris la décision de ne pas parler de tout ce que j'avais vécu, de passer l'éponge sur cette histoire et de reprendre ma vie comme si de rien n'était. Je glissais ma main dans la poche de mon jean afin de déchirer la lettre que j'avais écrite la veille et là, rien, la poche était vide ! Il ne me fallut pas plus d'un fragment de seconde pour comprendre que la lettre avait dû tomber dans la rue ! Aussitôt, je me précipitais dehors avec l'espoir de mettre la main sur ce que j'avais écrit. Je me ruais vers la porte, dévalais les escaliers de mon immeuble. Dans la précipitation, je bousculais même mon voisin ! Après m'être excusée, je me penchais pour ramasser son «Nice Matin » que j'avais fait tomber. Tout à coup, en première page du journal, le titre qui faisait la Une me sauta aux yeux : « Cannes : Maturine a livré son dernier secret ».