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Imposteur !

2e ex aequo Prix Nouvelle

De DEFOUG Sandrine

Lorsqu’Olivier rouvrit les yeux, il se sentit étonnant léger, son visage ayant été débarrassé du fardeau qui l’entravait. Avec un indescriptible plaisir, du bout de ses doigts, il toucha son front, ses pommettes, son menton, suivit le contour de ses lèvres et les arêtes de son nez.

Interloqué, il se demanda quel miracle était survenu pendant son sommeil pour que, près de lui, son lit ait disparu et plus surprenant encore, que la porte se soit désintégrée. Surmontant son appréhension, il se leva, fit trois pas et s’enhardit à regarder de part et d’autre du couloir.

Sur la gauche, deux personnes approchaient : il s’empressa de reculer. Lorsque le couple pénétra à l’intérieur de sa cellule, Olivier frémit. Les jeunes gens l’avaient vu à visage découvert : son sort était donc irrémédiablement scellé. Il se tint immobile, résigné. Le couple le regarda longuement, amusé. Il les entendit plaisanter puis les vit s’éloigner. Apaisé, il prit le risque de s’aventurer hors de cette pièce qui était sienne depuis une décennie. Il croisa d’autres personnes qui, toutes, le regardaient avec étonnement mais sans aucune intention malveillante. Il fut rassuré par le fait qu’aucune d’elles ne portait d’arme. Il rassembla son courage et monta le petit escalier. En haut des marches, il s’arrêta, aveuglé. Il dut patienter que ses yeux se réhabituent à la lumière du jour, cette lumière dont il avait été privé depuis si longtemps. La brise bienveillante qui lui caressait le visage rafraîchissait la fièvre de son effroi, de cet effroi qui l’habitait désormais jour et nuit depuis… depuis que son illustre frère, son propre frère avait pris la plus abjecte des décisions à son égard. Des dizaines de minutes s’égrenèrent pendant lesquelles il contempla le grandiose spectacle qui s’offrait à lui. Fasciné, Olivier sentait son être se dissoudre dans le bleu du ciel et de la mer lorsqu’il sursauta de frayeur : un garde l’empoignait. Tenter de fuir serait vain, il le savait. Aussi décida-t-il de continuer à profiter de ce moment de béatitude jusqu’à ce qu'on ne le renvoie dans sa prison ou pire encore… A son grand soulagement, le contact de la main sur son épaule cessa. Olivier pivota sur lui-même et n’aperçut aucun soldat près de lui. Il réalisa que la pression qu’il avait ressentie n’était, en fait, que le frôlement d’un inoffensif passant. Ce furtif frôlement avait cependant eu l’avantage de faire émerger Olivier de sa torpeur. Il réalisa que s’il voulait continuer à savourer sa liberté, il était grand temps de partir loin du fort où il avait été reclus.

Il entreprit de longer le bord de mer. Après une heure de marche, il revint à son point de départ. Il se rappela le bateau qui l’avait amené, ici, sous bonne escorte et comprit que c’est sur une île qu’il avait résidé.

 

Olivier continua à marcher et se dirigea vers les petites embarcations à voile qu’il avait entraperçues, des embarcations qui lui avaient semblé bien frêles au regard des esquisses de frégates qu’il avait eu le privilège d’admirer avant que… avant qu'il ne soit jugé indésirable. Il fouilla dans sa mémoire. A sa grande satisfaction, il se souvenait des principes qui en gouvernaient la direction et l’avancée. Confiant, il décida d’emprunter un de ces bateaux pour rejoindre la terre ferme. A mi-chemin, il observa un phénomène très étrange : sur la mer, se déplaçait un bateau n’ayant ni voiles, ni rameurs. Olivier renonça à comprendre et se dépêcha de rejoindre le ponton où de nombreuses personnes semblaient attendre. La curieuse embarcation accosta, une dizaine de personnes en descendirent ; Olivier tenta de se mêler aux promeneurs qui montaient à bord.

- « Monsieur », l’interpella une femme, « votre ticket s’il vous plaît ».

N’obtenant aucune réponse, elle continua :

- « A l’aller, ce n’est pas avec notre compagnie que vous avez voyagé : je me souviendrais de votre accoutrement ! »

Autour de lui, des sourires sarcastiques se dessinèrent sur les visages des voyageurs qui contemplaient son vêtement d’apparat, contrastant avec les tissus légers qui ne couvraient qu’une partie de leur corps.

Penaud, Olivier fit demi-tour et reprit sa progression vers la pointe de l’île. Près de la crique, il s’arrêta, dérouté par ce qu’il vit : ce n’étaient plus seulement les bras et les jambes des hommes et des femmes qui étaient visibles mais également leurs cuisses et leur buste !

- « Ces personnes sont-elles tellement pauvres qu’elles ne peuvent pas s’acheter du tissu pour masquer leur intimité ? », s’interrogeait-il.

Une discussion animée entre trois adolescentes le tira de sa méditation :

- « Eh ! Matez voir un peu le mec là-bas ! »

- « Waouh ! T’as le look coco ! »

- « Il est fringué zarbi mais il est craquant, non ? »

- « Ah que ouais ! »

- « Pour un flirt avec toi… », entonna la plus âgée.

- « Non ! Il est pour moi ! Prem’s ! », s’indigna sa copine.

- « De toute façon, vous deux, ça causer, vous savez. Mais passer à l'abordage, même pas chiche ! » ricana la troisième.

Olivier, intrigué par cette étrange conversation, vit accourir deux jeunettes. Elles s’arrêtèrent à une dizaine de mètres de lui. La plus petite donna un coup de coude à sa camarade et s’exclama :

- « Mais ! Mais, c’est Luc Dormin ! »

Cette phrase, prononcée assez fort, eut l’effet d’un détonateur. Deux autres femmes accoururent, puis un couple, puis une dizaine de personnes et bientôt Olivier se retrouva au centre d’une masse grouillante. Tout autour de lui, des bras se tendaient, cherchant à le toucher. On lui tendait des morceaux de papier dont il ne savait que faire. Tout à coup, un bruit assourdissant se fit entendre, deux hommes en costume fendirent la foule, l’un d’eux lui saisit le poignet et s’écria :

- « Vite ! Vite ! Vous allez être en retard. »

Olivier n’eut d’autre alternative que de suivre l’homme qui, de sa main libre, éloignait les curieux. Lui et son comparse propulsèrent Olivier dans un petit engin mécanique dans lequel deux autres hommes étaient assis. Le bruit redevint assourdissant et un phénomène surnaturel se produisit : la machine entra en lévitation. Tandis qu’Olivier s’éloignait ainsi de l’île par la voie des airs, il contempla la mer qui serait, dans quelques instants, sa dernière demeure.

Résigné, il attendait l’instant que choisirait l’un des gardes pour l’éjecter hors de ce curieux appareil. A son grand étonnement, il n’en fut rien et les deux hommes qui l’entouraient se mirent à dialoguer avec lui sur un ton obligeant :

- « Excusez-nous de vous avoir un peu bousculé mais vos fans ne vous auraient jamais laissé partir ».

- « Toute la journée, nous vous avons cherché. Vous aviez disparu ! Nous étions inquiets. Heureusement on nous a signalé votre présence ici. Alors, nous nous sommes dépêchés de venir », précisa l’homme assis à la droite d’Olivier.

Son collègue surenchérit :

- « C’est que l’on vous attend au Palais ! »

- « Surtout que vous avez des chances de la recevoir, la Palme ! »

Olivier tenta de masquer sa perplexité : pourquoi était-il si attendu au Palais ? Son illustre frère souhaitait-il se réconcilier avec lui ? Ou était-il décédé ? La Palme était-elle un cadeau ou sa part d’héritage ? A l’intérieur de son crâne, les questions s’emmêlaient : pourquoi tous ces gens presque nus sur l’île ? Qui était ce « Luc Dormin » ? Et quel mystère régissait le bateau qui avançait tout seul et quel autre, plus grand encore que cet engin qui jouait à l'oiseau dans le ciel ?

L’appareil atterrit et ses trois passagers arrière descendirent sur le sable. Olivier suivit ses guides. De part et d’autre, des grilles et des policiers maintenaient les badauds à distance. Il parvint au bas d’un escalier que recouvrait un somptueux tapis rouge. A l’intérieur du bâtiment, il rendit le bonjour aux inconnus qui le saluaient et pénétra dans la grande salle.

Nulle dorure, nulle tapisserie mais une multitude de sièges devant une scène. On l’invita à s’asseoir au premier rang. Il feignit de somnoler pendant que la salle se remplissait. Puis les voix se firent plus fortes et soudain :

- « Luc Dormin ! »

La salve d’applaudissements fit sursauter Olivier. Tous les visages étaient tournés vers lui. Il comprit qu’on attendait de lui qu’il rejoigne sur scène la femme qui venait de prononcer le nom qu’on lui avait attribué.

- « Félicitations ! » s’écria-t-elle en l’embrassant.

Elle lui tendit alors un trophée en or avant de déclarer :

- « Et quelle brillante idée d’être venu en habit d’époque ! Vous ressemblez vraiment au héros de votre film ! Il ne manque que le masque de fer et on croirait avoir devant soi cet homme injustement emprisonné parce qu’il avait le défaut d’être le frère jumeau du Roi Sol… »

Elle ne put finir sa phrase, la porte du fond venait de s’ouvrir à toute volée. Un homme en costume de ville courut sur la scène, bouscula sans ménagement Olivier, lui arracha le trophée des mains en s’écriant :

- « Luc Dormin, c’est moi ! », puis il désigna Olivier du doigt : « Cet homme est un imposteur ! Il voulait me ravir la palme d’or ! ».

« Imposteur ! », le terme résonna dans la tête d’Olivier. C’est ainsi que le qualifiait son auguste frère !

- « Spectaculaire ! Luc Dormin et son sosie vont jouer devant vous une adaptation du film primé « Ne commets pas l’erreur d’être mon jumeau ! », commenta la femme avant d’affirmer :

- « D’ailleurs, lequel des deux est le vrai Luc Dormin ? Moi qui suis juste à côté, je ne pourrais pas vous le dire ! »

- « Alors, la marmotte ? »

Olivier écarquilla les yeux, s’étira. Ses parents et son frère Marc se tenaient devant lui, hilares.

- « Tu as préféré te reposer dans le fort du masque de fer ! Dommage pour toi car il y avait de belles nanas sur la plage. L’île de Sainte-Marguerite, c’est trop génial ! »
commenta son aîné.

- « Dépêchons-nous de rentrer les enfants », déclara leur mère. « Avec un peu de chance on pourra apercevoir Luc Dormin lors de la montée des marches ! »

- « Le vrai ou son sosie du XVIIe siècle ? », interrogea Olivier, qui entreprit de raconter son rêve.