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La fontaine magique

Prix du conte

De Marie-Claire Lachavanne

Le mois de mai pluvieux accueillait le festival de Cannes. Entre les festivaliers affublés de leurs appareils photos et les touristes attirés par l’aura des stars déambulait, ignoré de tous, un sans domicile fixe.

Seuls le remarquaient les habitants du boulevard Carnot qui le voyaient quotidiennement errer sur les trottoirs alors qu’ils se rendaient dans les immeubles alentour. Il ne changeait pour ainsi dire jamais : grand, maigre, habillé des mêmes haillons été comme hiver, il se promenait en toussant, son carton sous le bras et refusant l’aumône de ceux qui prenaient son aspect effroyable en pitié. En effet, l’homme gardait sous la crasse sa dignité d’être humain. Il ne rêvait pas de faire de la peine mais d’être respecté et même, pourquoi pas, d’être admiré.

La période du festival était, en cela, la plus difficile à vivre pour le mendiant. Si les stars qui montaient le tapis rouge du Palais des Festivals faisaient rêver les touristes pour leur talent artistique, lui, c’était l’attention qui leur était accordée qui le faisait crever d’envie. Que ne donnerait il pas pour, ne serait-ce qu’une journée, être une vedette adulée et laisser de côté l’ombre qu’il était aux yeux de tous.

On en était déjà à la moitié du festival que notre clochard déambulait l’âme en peine sur la place du marché Forville. Il ne restait plus que quelques fruits tombés çà et là sur le sol déserté par les marchands. Alors qu’il ruminait le cœur lourd, une vieille femme l’aborda :

  • Puis-je vous aider ?

Pour toute réponse, il la rabroua. Encore quelque bigote qui voulait faire l’aumône. Cependant, la dame insista. Elle fit alors quelque chose d’inouï : elle lui prit la main. Personne ne le touchait plus depuis si longtemps ! Ebahi par ce geste, il la suivit. Elle l’amena jusqu’à la chapelle de la Miséricorde qui se trouvait non loin de la place. Sur le mur de la chapelle se trouvait une petite fontaine. La vieille femme lâcha la main du mendiant pour lui dire :

  • Si vous buvez de cette eau, vous serez exaucé.

L’homme était incrédule. Non seulement cette fontaine qui d’habitude était à sec coulait à présent, mais aussi, comment cette inconnue pouvait elle connaître son vœu le plus cher ? Un instant il pensa qu’elle se moquait de lui. Levant les yeux vers elle, il remarqua sa silhouette mince ainsi qu’une médaille qui scintillait à son cou sous un rayon de soleil. Comme il hésitait en regardant l’eau qui s’écoulait, il s’aperçut que la femme avait soudain disparu. Il décida finalement qu’il n’y avait rien à perdre. Le clochard mit ses mains sales sous le jet de la fontaine et but goulûment. Son goût était délicieux, mais ce n’était pas là son seul bienfait : en un instant, le mendiant se transforma en star interplanétaire. Adieu les haillons et la crasse, il était désormais vêtu des vêtements à la mode les plus chics et une foule de fans se pressait autour de lui en acclamant son nom. Une limousine vint se garer devant la chapelle et un garde du corps l’invita à y entrer. Ce fut le jour le plus incroyable de sa vie. Il traversa la croisette sous un tonnerre d’applaudissement et lorsque la limousine descendit la rue d’Antibes, des jeunes filles se jetaient sur son passage, folles de lui. On l’emmena enfin faire la montée des marches où les flashs crépitaient. Ce fut sous cet aspect magique que l’ex mendiant rencontra la femme de sa vie. La jeune actrice était nommée meilleur espoir du cinéma français. Il en tomba immédiatement amoureux. Ravi de pouvoir se présenter à elle sous cet aspect flatteur, il l’invita au casino adjacent.

Tous les espoirs étaient permis. Il l’épouserait et profiterait de sa nouvelle richesse avec elle. Hélas, alors qu’ils quittaient le casino après dîner, minuit sonna. Il reprit soudain son aspect lamentable. Le charme était rompu. Quand il s’en rendit compte, il prit ses jambes à son cou afin que sa dulcinée ne le voie pas dans cet état.

Trois jours étaient passés depuis la fin du festival. L’homme redevenu clochard pleurait amèrement assis sur le quai Saint Pierre. Il était bien retourné à la fontaine miraculeuse mais elle ne donnait plus d’eau.

Tandis qu’il pleurait, quelqu’un s’approcha de lui pour lui rendre sa vieille savate. Oh ! Il s’agissait de la jeune fille.

  • Vous avez perdu cela, lui dit-elle.

Abasourdi, il ne sut que répondre.

  • Vous êtes parti si vite que vous l’avez laissée tomber, expliqua-t-elle.
  • Mais, je ne la portais pas ce soir-là. J’étais bien mieux vêtu que maintenant.
  • Non, vous étiez comme aujourd’hui.
  • Ah bon ? Pourtant, les gens, les fans…
  • Ils ne vous voyaient pas tel que vous êtes car ils ne vous aiment pas. Ma grand-mère disait toujours que seule la personne qui vous aime vraiment vous voit tel que vous êtes. Peu importe que vous soyez riche ou pauvre, vous êtes mon prince et je vous aime. Votre âme n’a pas besoin de vêtements pour me plaire. Elle brille d’elle-même à mes yeux. Je suis probablement la seule à avoir vu cette sandale telle que vous la portez à présent, même si il y a encore trois jours, elle paraissait bien plus belle aux yeux de tous.
  • Je ne remercierai jamais assez votre grand-mère de vous avoir appris cela, car je vous aime aussi. Comment s’appelle-t-elle ?
  • Renée Amari. Elle est décédée l’année dernière. Nous l’avons enterrée à la chapelle de la Miséricorde car elle aimait beaucoup y aller.
  • De quoi avait-elle l’air ? demanda l’homme que cela intrigua.
  • Une femme très mince, aux yeux sombres et cheveux courts. J’ai gardé ce médaillon d’elle.

L’homme reconnut la médaille qui avait brillé au cou de la vieille femme qui lui avait indiqué la fontaine magique. Tout lui parut clair : cet être qui était la grand-mère de la jeune fille était revenu de l’au-delà pour permettre leur rencontre. Les deux amoureux décidèrent d’unir leur destin dans cette même église quelque temps après. L’actrice eut une belle carrière accompagnée de son mari qui devint son imprésario.