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Le Rocher aux Lucioles

Moins de 18 ans - 1er Prix

De Zaynab JAYEB

Chaque été, Léo s’échappait de l’agitation de l’appartement de ses parents à Nice, pour retrouver, là-haut, le silence vivant de la colline, derrière Cannes.

Le train, bruyant et tremblant, l’emmenait jusqu’à la petite gare, où, déjà, la vieille 4L beige de son grand-père l’attendait, prête à l’engloutir dans ses sièges fatigués. Après quelques minutes passées sur le bord de mer, la ville se fondait, effacée par les mimosas, les oliviers, et la garrigue qui embaumait l’air chaud.

La maison, modeste mais robuste, s’accrochait à la colline comme une chèvre têtue. Une treille de vigne, généreuse et ombragée, la couvrait presque toute. Et chaque arrivée était saluée par la cloche rouillée de la porte, qui sonnait doucement, comme un vieux souvenir.

Tout y était simple, ancien, solide. La pendule de la cuisine battait lentement, avec le calme d’un cœur tranquille qui ne savait rien du monde extérieur. Baptiste, le grand-père, parlait peu, mais son regard savait tout dire. Ancien garde forestier, il connaissait chaque arbre, chaque pierre, chaque souffle de la colline. Sa moustache blanche, figée dans le temps, semblait faire partie du paysage. Le soir, il allumait sa pipe, les yeux perdus dans les montagnes bleues de l’Estérel, et la fumée montait doucement vers le ciel.

Les journées suivaient le rythme du soleil.

Le matin, ils partaient tôt, quand la fraîcheur de la nuit perlait encore sur les herbes.

- Debout, pitchoun, faut pas laisser les lézards faire tout le travail, grognait Baptiste en frappant doucement à la porte.

Ils grimpaient les sentiers bordés de cistes, croisaient parfois un lièvre, saluaient un pin tordu qui « n’a jamais voulu pousser droit ». Léo apprenait à marcher dans le silence, à écouter. Il posait mille questions, auxquelles son grand-père répondait à peine, mais toujours juste.

L’après-midi était une longue sieste moelleuse, derrière les volets mi-clos. Puis venait le goûter : melon frais, figues encore tièdes cueillies sur l’arbre, et des rires à voix basse, comme un secret partagé entre deux âmes.

Mais le soir, c’était autre chose.

Après le dîner, ils s’installaient sous le tilleul, sur le vieux banc de pierre. Le jour glissait lentement vers la nuit, et les cigales laissaient place aux grillons. Baptiste allumait sa pipe. Parfois, il racontait.

Il parlait du passé comme d’un vieux copain, croisé au détour du marché : les orages furieux, les incendies qu’il avait domptés, les amours d’un autre temps.

Et puis il y avait cette histoire, celle que Léo attendait, même si elle lui était aussi familière que sa propre ombre.

- Là-bas, au bout du sentier oublié, il y a un endroit qu’on appelle le Rocher aux Lucioles.
Un petit coin secret où, certaines nuits, on dirait que le ciel descend sur la terre. Les lucioles viennent danser. Pas une ou deux… des centaines. Mais elles ne se montrent qu’à ceux qui savent encore rêver.

Léo restait suspendu à ses mots.

- Tu m’y emmèneras ?
- Peut-être. Quand tu seras prêt. Et quand la nuit le sera aussi.

Les jours suivants, Léo n’eût d’autres pensées. Chaque soir, il guettait un signe. Mais Baptiste restait silencieux. Alors le petit garçon observait les ombres, écoutait les bruits de la nuit, et rêvait sans rien dire.

Puis vint cette nuit où la lune brillait comme un vieux sou noir, ronde et tranquille. Le sommeil ne venait pas. Léo se leva, pieds nus sur le carrelage tiède. La maison dormait, paisible, sans un bruit. Une idée, douce mais obstinée, germa dans son esprit. Il enfila ses sandales, glissa sa lampe dans sa poche, et sortit.

Dehors, tout semblait différent. Les ombres étaient plus épaisses, les sons plus profonds. Il longea le figuier, caressa le tronc comme pour lui confier un secret, puis prit le sentier. Il le connaissait bien, ce sentier. Pas tout à fait, mais assez. Il avançait guidé par les odeurs, la pente, les souvenirs qui se réveillaient à chaque pas. Les pierres roulantes sous ses pieds, les branches qui griffaient ses jambes, mais il n’avait pas peur. Après une montée plus raide, il arriva sur un petit plateau de roche blanche. La vallée s’étendait devant lui, endormie. Il s’assit, épuisé, mais satisfait.

Rien.

Le silence.

Le vent léger.

Le cri lointain d’une chouette.

Puis… une lumière.

Minuscule. Flottante.

Puis une autre. Et encore une.

Les lucioles.

Elles étaient là, des dizaines, des centaines, qui dansaient autour de lui. Elles tourbillonnaient lentement, comme des pensées qui brillaient dans la nuit. Léo souriait sans s’en rendre compte, le cœur léger, émerveillé. Il avait cru. Et il avait trouvé.

Une voix s’éleva derrière lui :

- T’as trouvé le chemin tout seul, mon pitchoun.

Léo se retourna. Baptiste était là, droit comme un vieux chêne, les mains dans les poches, le regard doux.

- C’est ça, être un enfant, dit-il. Croire que c’est possible. Et avancer, même dans le noir.

Ils restèrent là, côte à côte, sans un mot de plus.

Les lucioles dansaient. Le silence respirait. Le temps, doucement, s’arrêtait.

Le lendemain, quand le soleil effaça les derniers rêves, Léo prit son carnet de croquis, encore vierge. Sur la première page, d’une main un peu tremblante, il écrivit :

« Cette nuit, j’ai vu les étoiles danser sur la terre. »