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Correspondances

Prix de la prose poétique

De Marie-France ROBIC

Augustine, mère adorée, vient de mourir à l'âge de 36 ans d'une pneumonie aigüe. Je n'ai que 15 ans. On est le 16 juin 1910.

Elle était ma force, mon pilier. Elle m'avait fait baptiser à l'âge de 3 ans, en cachette de mon père qui était un républicain laïque convaincu. Nous avions une complicité immense, car nous partagions un secret qu'elle seule pouvait exprimer. Elle ne me l'avait pas dit avec des mots, mais j'étais son petit roi et je sentais que je réparais un chagrin immense chez elle.

En réalité, elle avait eu un enfant naturel, mon frère aîné. Il s'appelait Maurice, il était mort à l'âge de 4 mois alors qu'elle m'attendait. Ma naissance l'a ramené à la vie, et j'ai su tout petit que je devrais vivre pour deux enfants. Elle me donnait un rôle tellement important qu'il faudrait que je me presse de lire et d'apprendre, de voyager, d'observer le plus minutieusement possible mon environnement. Je devrai faire de ma vie quelque chose d'exceptionnel… mais je ne savais pas encore quoi !

Mon père était instituteur, il ne badinait pas avec l'éducation et les apprentissages. Nous, ses quatre enfants, avions été élevés dans la discipline et la rigueur. J'étais plutôt bon élève. Quelle chance pour moi de me partager entre la ville de Marseille, où exerce mon père, et les collines d'Aubagne où je vis en totale liberté avec mon ami Lili des Bellons. Il parcourt la nature de long en large tous les jours de l'année. Il m'apprend le nom des fleurs, des insectes, des plantes aromatiques, comment chasser du petit gibier, il répond à toutes mes questions. Chaque moment avec lui est une leçon de vie que je n'oublierai jamais.

En 1913, j'ai 18 ans, j'obtiens mon bac philo. Je pars ensuite à l'Université d'Aix-en­Provence faire des études de lettres et obtenir une licence d'anglais. Mais l'histoire me rattrape : je suis mobilisé en 1914, puis rapidement réformé en 1915 pour « faiblesse de constitution ». Un peu vexé au départ, j'ai trouvé cela avantageux pour mon avenir. J'étais un combattant sans arme, un idéaliste, un conteur, un rêveur. Je n'avais retenu que la beauté de la vie, et je refusais de voir l'avenir sombre qui se dessinait de plus en plus devant nous.

Je passe pas mal d'années un peu laborieuses avec la guerre 1914-1918 en fonds, sans trouver une réelle inspiration. Je joue à la pétanque et bois du pastis sous les platanes des places du midi, avec quelques amis également réformés. J'écris des poèmes et des récits de mon enfance, et j'enseigne l'anglais jusqu'en 1927. Lassé et insatisfait de moi je donne congé à l'Éducation nationale, « pour cause de littérature ».

Je ne chôme pas, j'écris Topaze en 1928 et Marius en 1929, qui sont très vite mis en scène et joués au théâtre, en France et à l'étranger. J'ai du succès, un succès fou, je commence à être reconnu et je prends confiance.

J'en profite aussi pour voyager : en 1929, j'ai 34 ans. Je pars à Londres. N'oubliez pas que j'ai enseigné l'anglais. Je parle un bel anglais littéraire, avec un accent du midi à couper au couteau, je charme, je surprends, et je fais des rencontres qui me conduisent dans une salle de cinéma pas loin du Tower Bridge.

Bien installé dans mon fauteuil en velours, en charmante compagnie, je découvre le premier film parlant : « Broadway Melody ». J'avais eu quelques échos bien sûr de cette surprenante découverte, mais c'est tout autre chose d'entendre soi-même ces voix qui sortent de l'écran. Je suis totalement émerveillé et bouleversé. Je ne connaissais jusque­-là que le cinéma muet de Charlot, qui avait été une révélation pour moi.

Je continue d'écrire et de préparer des films, j'achète des terrains en Provence, pour y construire des studios de cinéma. J'acquiers en 1942 le Domaine de l'Étoile, à La Gaude. C'est la guerre. Je refuse de travailler avec les ennemis, je brûle les bobines de mon dernier film « La prière aux étoiles ». J'arrête ce que j'aime le plus au monde. Je ferme mes studios de cinéma. Plutôt que de laisser embrigader ces hommes et ces femmes qui travaillent avec moi, je vais tout faire pour leur créer des emplois afin qu'ils ne partent pas en Allemagne pour le travail obligatoire.

Je deviens horticulteur. Nous cultivons des champs d'œillets, c'est une reconversion spectaculaire qui vaut cette phrase de Raimu : « Si Marcel devient fleuriste, moi je n'ai plus qu'à vendre des rascasses ! ».

Là je commence à être fier de moi : même si on m'a trouvé une constitution trop faible pour partir à la guerre, j'ai bien tenu ma place durant cette période !

Je veux, je veux absolument réaliser un film parlant. Mon sujet est tout trouvé, il se passe à Marseille avec Marius. Je vais vite me mettre en quête d'acteurs qui ont ce si bel accent chantant du midi, mon ami Pierre Fresnay sera parfait et Raimu et Orane Demazis, la jeune marchande de coquillage aussi.

La Seconde Guerre mondiale avait empêché le 1er festival de Cannes, prévu en 1939. De ce fait, mon film Marius n'est présenté qu'en 1946. Il remporte un succès fou, toute la joie, la pureté et l'espoir de la vie heureuse y sont, on retrouve l'insouciance, on oublie les horreurs de la guerre.

Ça y est Maman, j'ai remporté le 1er prix du festival. Mon film Marius est le tout premier film à succès du cinéma parlant, j'ai 52 ans. Mon ascension est fulgurante, tel un acrobate je vais me lancer dans les airs, continuer à marcher sur un fil, j'ai trouvé l'équilibre. Ce n'est que le début. D'autres films suivront, d'autres succès, je ne m'arrêterai plus.

Mes petits-enfants, mon petit-fils, viennent me représenter à Cannes en cette année 2025, Daniel Auteuil prend la relève de Marius. Il raconte en chair et en os l'expérience de sa vie avec moi, et cet univers provençal si cher à mon cœur.

Un jeune élève de 15 ans, scolarisé au collège Marcel Pagnol de La Bocca a écrit cela pour vous, après avoir vu le film La gloire de mon père, le 10 mars 2025.

« Dans ce film, ça y est, j'ai tout vu, j'ai tout compris, 
les collines, le mimosa et la mer au loin, l'horizon, 
les chèvres grimpant sur la rocaille, Lilli les Bellons, 
Deux enfant seuls, loin de la civilisation. 
C'est ça l'écologie, la liberté. 
On court à perdre haleine, sans danger, 
cueillant un peu de thym et de romarin, 
un petit gibier pris dans un piège, à la main, 
pour justifier de notre absence, sans fin. 
Puis je retrouve la civilisation, vacances terminées. 
Cannes ma ville de naissance; La Bocca, mon quartier. 
Je plonge la tête la première dans la Méditerranée. 
Demain j'irai jusqu'au Maghreb, je nagerai éperdument. 
Mais surtout, je reprendrai le projet de Monsieur Pagnol, 
J'y mettrai le temps qu'il faudra, en persévérant et m'acharnant, 
Je serai ingénieur agronome, ou je ferai de l'horticulture,
pour retrouver et prendre soin de ces trésors de la nature, 
ses arbres, sa garrigue et ses fleurs, ses paysages si purs. 
Je ne vous dévoilerai pas mes autres rêves préférés, 
ambitieux et profonds, les dés ne sont pas jetés. 
Selon les circonstances, je m'adapterai sans me trahir. 
J'ai 15 ans, je n'ai pas peur et j'ai confiance en l'avenir. 
On continuera à parler de nous longtemps, je vous le dis.
Elle avait raison Augustine de t'avoir dit avant de mourir : « tu sais, mon enfant, quand je
serai morte, tu regarderas une étoile et tu me demanderas ce que tu voudras
». 
Un peu d'éternité retrouvée, merci cher apôtre de la Provence pour l'universalité de ton
message ! La prière aux étoiles… c'est maintenant ! ».