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Cannes 2050

Scénario - Prix spécial Dialogue

De COLLY Michèle
 

Une dame âgée s’arrête devant un vieux banc de la Croisette. Elle regarde au loin les rayons de soleil se jeter dans la mer. Un jeune homme assis se lève.

Estéban
Prenez cette place madame, ce banc a vécu et il ne va pas tarder à lâcher. Cette place est plus solide.

Sophie
Vous êtes bien aimable, jeune homme. Mais (souriant) j’ai mes petites habitudes.

Elle s’assoit sur le petit bout de banc, branlant et grinçant.

Estéban
Je ne comprends pas pourquoi la mairie ne change pas ces vieux bancs. Remarquez, ils n’en restent plus beaucoup, celui-ci sur la Croisette et un autre, il me semble, vers la Bocca.

Sophie
Devant Thalès.

Estéban
Thalès ? Vous parlez de l’Agence Spatiale Française ? C’était leur ancien nom il me semble ?

Sophie
C’est exact, il faisait des satellites, il y a très longtemps. C’était avant qu’ils ne partent dans la conquête spatiale.

Estéban
Une belle époque. J’aurais aimé la connaître.

Sophie
Quel âge avez-vous sans indiscrétion ?

Estéban
25ans.

Sophie
À cette époque de ma vie, je débarquais à Cannes et posais mes valises pour le travail.

Estéban
Dans le cinéma ?

Sophie
Non pour un constructeur de satellite.

Estéban (souriant)
Thalès !

Sophie
Oui. Et vous, que faîtes-vous ?

Estéban
Je suis en dernière année d’école Ingénieur.

Sophie
Quelle spécialité ?

Estéban
Aéronautique.

Sophie
Le monde est petit !

Estéban
Avec deux parents professeurs de physique, il faut dire que le hasard n’a pas trop sa place.

Sophie
Comme un soupçon de regret dans la voix ?

Estéban
Non, c’est juste que je suis également fan de cinéma.

Sophie
Comme tout le monde dans cette ville.

Estéban
Plus que de raison, je me demande si je ne devrais pas tenter l’aventure.

Sophie
Je vois. Vous êtes à l’aube de votre vie et deux choix se présentent à vous.

Estéban 
C’est exactement ça !

Sophie
Je comprends votre trouble, d’autant plus que Cannes est devenue la capitale mondiale du cinéma avec son industrie cinématographique. Dire qu’elle a dépassé Hollywood. Qui l’eût cru.

Estéban
Parlez-moi de cette époque. C’était comment Cannes avant ?

Sophie
Vous voulez dire, avant tout ces studios de cinéma dans la vallée de la Siagne ou l’énorme site de l’ASF, l’Agence Spatiale Française à Sofia ?

Estéban
Les deux (sourire).

Sophie
La région s’appelait la Riviéra. Elle était réputée pour la douceur de son climat, été comme hiver.

Estéban (s’étranglant)
Vous aviez des étés doux ?

Sophie
Oui, ils étaient très agréables. Bien sûr, on a eu des gros coups de chaleur, mais rien de comparable aux années 30. Le climat a vraiment pris un tournant à cette époque. Pourtant ce n’était pas faute d’avoir tiré la sonnette d’alarme.

Estéban
J’aurais tellement voulu connaître un été « normal ».

Sophie
Ta génération subit les conséquences de nos pauvres idioties.

Estéban
Ce n’est pas de votre faute.

Sophie
Si, celle de ma génération et celles d’avant. Nous n’avons pas pris le virage à temps pour éviter tout ceci.

Estéban
Au moins on peut profiter de la plage l’hiver, à la Bocca. Ce n’est pas perdu.

Sophie
Je me rappelle un été où je sortais du travail à vélo. Je remontais le long de l’ancienne plage sur le boulevard du Midi jusqu’à l’hôtel Pullman, ensuite je coupais à travers le golf de Mandelieu sous l’ombre des pins. J’arrivais à ma résidence et je nageais dans la piscine pendant une heure. J’étais seule, un vrai régal. Je savais que ces moments étaient privilégiés et je les savourais.

Estéban
Comme je vous comprends.

Sophie
L’odeur des pins était délicieuse.

Estéban
Et l’emplacement du golf, c’était celui de la Warner ?

Sophie
Non la Warner se trouve sur l’ancienne zone des Tourrades. L’été 34 a été très rude et le dernier pour le golf, qui faisait de la résistance depuis plusieurs années déjà. Universal a racheté le terrain et a construit ses studios.

Estéban
Mais comment se fait-il que tous ces studios américains aient jeté leur dévolu sur la France ? Ils étaient tous à comment ça s’appelle déjà… Bollywood, c’est ça ?

Sophie
Hollywood. La chaleur était devenue insupportable. Déjà à l’époque, l’été avoisinait les 40 degrés. Aujourd’hui avec ces 60 degrés, seul les bédoins du désert des Mojaves s’y aventurent. Cannes a survécu malgré tout au cataclysme caniculaire. Et puis les nouvelles technologies aidant, le carburant non polluant gratuit, les énormes ventilateurs soufflent sur toute la vallée des températures plutôt agréables. Rien à voir avec les climatiseurs de l’époque où tu attrapais une angine dès que tu rentrais dans un magasin, rue d’Antibes, l’été.

Estéban
Mais vous payiez le carburant à l’époque ?

Sophie
Et pas qu’un peu. Tu n’as pas connu le pétrole et ses envolées de prix dans les années 2000. C’était quasiment du racket à la pompe.

Estéban
Je ne conçois même pas qu’on puisse payer pour un carburant. Il parait que l’eau était payante quand je suis né.

Sophie
Oui, les grandes sécheresses à répétition avaient fini par mettre en danger les réserves d’eau mondiales. Là encore grâce à des créateurs inventifs, on a pu recycler l’eau de la mer.

Estéban
L’ingénierie est formidable.

Sophie
Le niveau de la mer qui augmentait dangereusement a fini par baisser. Un peu trop à mon goût, le temps qu’on invente le procédé de recyclage. Car vois-tu, la Croisette n’était pas une falaise, mais une plage.

Estéban
Une plage ?

Sophie
Derrière toi, tous ces grands complexes hôteliers high-tech étaient de magnifiques hôtels aux devantures blanches, avec des plages privées.

Estéban
Des plages ici ? J’ai vraiment du mal à le croire.

Sophie
Tu n’avais qu’une petite bandelette de sable, et elle était noire de monde l’été. Les palaces de la Croisette avaient leurs propres plages privées et recevaient tout le gratin du Festival.

Estéban
Et le Festival c’était comment ?

Sophie
Poétique, fantastique, exubérant, surprenant. J’ai travaillé sur deux festivals, celui de 1999 et 2000.

Estéban
Du siècle précédent, wahou !

Sophie
Ça ne me rajeunit pas. Je venais d’avoir 20 ans. Autant dire que j’en prenais plein les mirettes.

Estéban
Et vous faisiez quoi ?

Sophie
Hôtesse en salle de Conférence de Presse et en salle de cinéma, celle où l’on remettait la Palme d’Or.

Estéban
Vous avez dû en voir passer du beau monde. Vous avez vu qui ?

Sophie
Qui pourrais-tu connaître de cette époque ? Voyons voir… ah si Georges !

Estéban
Georges ?

Sophie
Il était célèbre pour sa phrase « What Else ! »

Estéban
Je sais ! L’ancien Président des États-Unis, Georges Clooney !

Sophie (riant)
C’est exact.

Estéban
Et qui d’autres ?

Sophie
Un ancien James Bond.

Estéban
Ouh là, j’ai dû en voir la moitié, environ 300.

Sophie
Sean Connery. Très bel homme. Il a très bien vieilli. D’ailleurs vieillir, ce n’était pas comme maintenant. Les femmes avaient la vie dure à cette époque « bling-bling ». Passé un certain âge, leur génétique ne leur faisait pas de cadeau et la société non plus.

Estéban
Comment ça ?

Sophie
Tu ne peux pas imaginer les progrès faramineux qui ont suivis. Aujourd’hui, l’âge physique n’est plus un problème, j’ai 72 ans, mais on me donne à peine 40 ans.

Estéban
Et encore ! Vous faites plus jeune.

Sophie
Je te remercie… et tout ça sans passer par la case chirurgie esthétique.

Estéban
Les femmes faisaient de la chirurgie pour être plus belles ?

Sophie
Oui elles enduraient le martyr pour avoir confiance en elles.

Estéban
Comment c’est possible ?

Sophie
Nous n’étions qu’à l’aube du décryptage du génome humain, ce n’est que bien plus tard que nous avons eu accès à la médecine Génotype. Corriger des bugs de l’ARN en modifiant les codons est devenu courant et surtout gratuit, pour tout le monde.

Estéban
Attendez, vous dîtes que tous les gens ne pouvaient pas se soigner ? C’est possible ça ?

Sophie
Ceux des pays aisés comme la France le pouvaient. D’autres pays n’avaient pas accès aux soins. Aujourd’hui il suffit d’aller te reposer quelques instants dans une salle de repos dans n’importe quelle partie du globe pour te régénérer ou soigner tes douleurs.

Estéban
Perso, je préfère les salles de sports. Celle du Suquet sont vraiment biens. Ils ont du choix dans les disciplines et les casques ont toujours les dernières mises à jour. Les salles de sports existaient déjà ?

Sophie
Oh oui. Les gens du Sud ont toujours aimé entretenir leur corps. Mais elles n’avaient rien à voir avec maintenant. À présent, tu enfiles un casque pas plus gros qu’un élastique autour de la tête et tu es propulsé dans un univers virtuel.

Estéban
J’aurais du mal à me passer de ces casques. Ils sont géniaux. J’ai appris tout un tas de disciplines.

Sophie
Ces casques ont changé la vie de millions de gens en leur donnant accès à un savoir jusque-là limité aux plus aisés.

Estéban
C’est comme ça que j’ai pu apprendre le ski, parce que bon si je dois aller skier en Sibérie, ça risque de faire un peu loin.

Sophie
Je me rappelle, depuis la passerelle de Thalès au-dessus de la voie ferrée, d’un côté tu avais la mer et de l’autre côté les montagnes enneigées. Cette image est restée gravée en moi, même après toutes ces années.

Estéban
Ça devait être magnifique.

Sophie
Ça l’était. Les pistes de ski étaient seulement à deux heures de Cannes.

Estéban
Deux heures !! Mais c’était dans les Pyrénées ?

Sophie (riant)
On n’avait pas un carburant aussi fort. Les voitures n’étaient que de simples routières.

Estéban
Ah oui c’est vrai, elles ne volaient pas.

Sophie
Non. Ça ne remonte qu’aux années 40, avec le tronçon de l’autoroute E8 de Cannes qui a servi de test pour toute la France. Il y a eu des manifestations assez violentes d’ailleurs.

Estéban
Pourquoi ça ?

Sophie
Parce que les gens ne s’habituaient pas à voir passer des voitures au-dessus de leur toit. Il a fallu réglementer tout ça et dédier une brigade de vol, celle qui a pris place à l’ancien commissariat sur le vieux port. Aujourd’hui plus personne ne fait attention à ces routes volantes. Ça fait partie du paysage.

Estéban
Ce Cannes-là devait être bien différent du mien.

Sophie
J’ai des photos, si tu veux jeter un œil.

Estéban
Volontiers.

Sophie appuie sur sa bague, diffusant une vieille photo de l’époque.

Estéban
C’est un supercalculateur miniaturisé ?

Sophie
Oui, je sais elle date. La technologie est dépassée depuis belle lurette.

Estéban
On n’en trouve encore quelques-unes dans les vides greniers.

Sophie
J’aime avoir sur moi une copie de mes données. Je dois bien avoir un milliard de photos. Voyons voir. Cette photo.

Estéban
C’est le Carlton ? Celui qui est derrière moi ?

Sophie
Oui.

Estéban
Sa devanture était magnifique. Pourquoi ils ne l’ont pas conservé en l’état ?

Sophie
À cause de la falaise, une partie s’est effondrée. Et puis la technologie aidant, il a été reconstruit en plus moderne. Les façades holographiques ont été de vraies prouesses technologiques. Les villes revêtissent les couleurs des fêtes annuelles et deviennent magiques.

Estéban
J’ai fait un stage à la mairie, aux services des registres. Il faut que le propriétaire des lieux s’inscrive sur le registre de la ville pour voir sa devanture s’éclairer. Celles que je préfère c’est la Saint Cassien et la Fête du Mimosa. On se croirait dans l’ancien massif du Tanneron.

Sophie
Les architectes digitaux sont doués pour faire revivre le passé, particulièrement à Cannes. Tiens regarde cette photo.

Estéban
L’ancienne Croisette. Magnifique.

Sophie
Les palmiers étaient majestueux et donnaient du cachet à cette très belle avenue.

Estéban
Et là, ce sont les magasins de… luxe ?

Sophie
Oui. Ta génération ne pourrait pas comprendre cette notion.

Estéban
Essayez de me l’expliquer.

Sophie
Par quoi commencer. L’homme des années 2000 était… différent. Il pensait différemment et était surtout très individualiste, porté sur l’argent et le succès. C’était là toute sa faiblesse. Il essayait de se construire un empire pendant que ses voisins mourraient de faim.

Estéban
Un peu comme ceux qui avaient accès aux soins, et ceux qui n’y avaient pas accès ?

Sophie
Oui. Conséquences, les flux migratoires importants ont commencé dans les années 10 et se sont intensifiés avec la guerre contre Daesh.

Estéban
Les guerres de religions, excusez-moi, mais je trouve ce terme totalement ridicule, un oxymore. Une religion n’était-elle pas censé véhiculer un message de paix et d’amour ?

Sophie
Si, mais là aussi des puissants tiraient les ficelles dans l’ombre. Pendant que le chaos se mettait en place, certains profitaient de ces situations.

Estéban
C’est abject !

Sophie
L’homme a un spectre très large en matière d’actions. Aujourd’hui l’éducation apprend aux jeunes à comprendre ce spectre et les dérives qui poussent l’homme à agir de façon odieuse.

Estéban
J’adorais ces cours. On nous montre que le monde n’est pas manichéen, mais que nos actions sont déterminées par tout un tas d’éléments innés, social, ou même le hasard. Notre libre arbitre et notre volonté peuvent nous aider à garder le cap sur ce qui nous anime. L’art, le travail, le sport et tant d’autres nous apprennent à les véhiculer, à les canaliser. C’est à nous de décider quel levier actionner pour contrer notre sort. L’histoire a démontré que l’orgueil et la cupidité étaient dangereux. Mais ce n’est pas pour autant que nous sommes enfermés dans un schéma de pensée unique. Le savoir c’est la clé. Comprendre ce qui nous façonne, ce qui nous détermine c’est sortir de ce piège qu’est la destinée. Nous ne sommes plus aptes à reproduire les erreurs des anciens ou à nous enfermer dans des schémas de pensée dangereux.

Sophie 
Si seulement l’homme n’avait pas mis tant d’années à le comprendre. On aurait pu éviter toutes ces manipulations à grandes échelles et ces guerres. L’homme a toujours eu besoin d’avoir le dessus, de se trouver un ennemi pour prendre conscience de son existence.

Estéban
Comment ça ?

Sophie
Par exemple, si je te dis que dans les années 2010, ce qui avait le plus de succès à la télé, c’était les séries policières sur les meurtres.

Estéban
Sur les meurtres ? Mais comment on peut se passionner pour ce genre d’idées ?

Sophie
C’est aussi la question que je me posais à l’époque. Je ne comprenais pas l’engouement pour ces séries, qui années après années, fleurissaient sur le marché. On apprenait aux gens inconsciemment que la vie était fragile.

Estéban
En soi, ce n’est pas une mauvaise chose.

Sophie
Oui, mais pas de cette façon. Les cadavres étaient déshumanisés, on leur retirait leur part de divin et cette fragilité-là faisait écho à une toute puissance, celle d’ôter la vie, de décider de qui avait le droit de vivre ou de mourir.

Estéban
Je vois ! La barrière entre le faible et le fort, le pauvre et le riche et donc d’inculquer aux gens, par le biais de l’inconscient collectif, que le monde sera toujours divisé en deux parties et que les puissants seront les plus à l’abri.

Sophie
Exactement ! Diffuser le sentiment d’insécurité pour mieux les gouverner. Et ça a marché, jusqu’à ce que le système fonctionne en roue libre. Au début on a attribué ce déclin à la technologie. C’était tellement facile de la diaboliser. Cette technologie qui nous volait nos emplois.

Estéban
Vous n’aviez jamais vu qu’elle pouvait être votre salut ?

Sophie
Oh non, il aura fallu en attendre des années pour l’envisager. Être au pied du mur, que le système craque de tous les côtés et s’effondre sur lui-même.

Estéban
J’imagine que les premières Intelligences Artificielles ont dû être mal vécues.

Sophie
Très. L’homme y voyait sa fin annoncée, programmée.

Estéban
En effet, certaines IA sont allées trop loin.

Sophie
Les cracks boursiers qu’elles ont déclenchés ont changé le monde. On avait lâché dans la nature de jeunes pousses artificielles sans éducation, sans encadrement. Elles se sont nourries de tout ce qu’elles ont vu sur la toile mondiale. Forcément, on y trouvait surtout la part obscure de l’homme. Même l’être humain le plus solide aurait fini par disjoncter à la vue de tout ça.

Estéban
C’est ce qui a entraîné par la suite l’humanisation de la toile.

Sophie
Oui, ces évènements ont modifié la conscience de l’homme. C’est ce qui a donné lieu à une Conscience Mondiale. C’en était fini des races, des religions qui séparaient les hommes depuis des siècles. Leurs ennemis communs étaient ces nouvelles intelligences lâchées dans la nature. L’ONU n’a jamais été aussi forte à ce moment-là. Tous les pays adhéraient, y compris les dictatures qui prenaient les mesures nécessaires pour ne pas se retrouver au Moyen âge. Au final, ces IA ont été neutralisées par d’autres IA, le monde s’est uni.

Estéban
… et c’est celui que je connais actuellement : nous naissons tous égaux. La différence n’est plus une barrière mais une force. Finalement l’IA a été utile à l’homme. Elle lui a permis de se rassembler.

Sophie
Et elles le sont toujours. Grâce à elles, chaque être humain peut se soigner, elles régulent l’économie mondiale, le code du travail, la santé, le tourisme et tant d’autres.

Estéban
J’ai entendu dire que vous travailliez une semaine complète, que vous n’aviez pas de temps libre ou quasiment pas. En fait vous ne pouviez pas profiter de votre vie, de votre famille. Vous étiez esclave de votre emploi.

Sophie
Là aussi cette notion doit te paraître folle.

Estéban
Elle l’est. L’homme doit-il naître pour travailler toute sa vie et enfin attendre avec impatience sa retraite pour en profiter ? Surtout qu’à cette époque vous n’aviez pas la même santé qu’aujourd’hui. Enfin ça paraît dément d’attendre de ne plus avoir l’énergie de la jeunesse pour faire les choses et découvrir le monde.

Sophie
On marchait sur la tête. Ceux qui prétendaient ceci à ce moment-là, passaient pour des fous aux yeux de la société. Mais au fond chacun y pensait. L’économie ne nous le permettait pas. Elle régnait en maitre sur nos vies. Le « toujours plus » : il fallait toujours plus produire, toujours être plus rentable, toujours gagner plus que le voisin, etc…

Estéban
Et jamais vous ne vous êtes dit que moins vous travaillez, plus vous en profiterez ? Sans compter que d’autres personnes pourraient elles-aussi travailler ?

Sophie
Travaillez moins, c’était gagner moins. Une folie qu’on ne pouvait se permettre. Imagine, quand j’avais ton âge, un 25m2 sur la Côte d’Azur représentait un tiers de ma paye, qui partait en fumée chaque mois dans le loyer.

Estéban
Mais qui pourrait accepter une chose pareille de nos jours ?

Sophie
Personne, je te l’accorde, mais on n’avait pas le choix. Les prix des logements dans les grandes villes comme à Cannes, c’était de la folie douce. Les jeunes ne pouvaient plus se loger correctement. Il fallait là aussi être bien né.

Estéban
Donc en fait l’économie de l’époque était mal calibrée.

Sophie
Totalement. On savait tous que le système avait atteint ses limites, on pensait que des réformes allaient changer la donne, mais ce n’était en fait que de simples rustines. Le bateau était en train de couler. Il fallait faire quelque chose au niveau mondial, et non pas chaque pays dans son coin. On a perdu plusieurs années pour le comprendre. Ce n’est que seulement après la venue des IA en bourse, que le monde a compris le rôle qu’elles avaient à jouer, parce que l’homme était mis au pied du mur, et ce, quel que soit sa nationalité. C’est à ce moment-là que l’ONU a dirigé le plus vaste chantier économique jamais réalisé sur toute la planète.

Estéban
L’Human-Economy. L’économie dirigée par l’Intelligence Humaine Artificielle.

Sophie
La Transcendance. Vaste sujet. Mais on y est arrivé. Quand tu penses à tous ces progrès. Confier l’économie à des utopistes incorruptibles épaulés par les IA. Les idéalistes étaient mal perçus. On les trouvait la plupart du temps à côté de leurs pompes, alors qu’il suffisait juste d’éloigner le champ de la caméra pour regarder beaucoup plus loin. C’est grâce à eux que le monde s’est embelli, grâce à eux qu’on est sorti des champs de mines semées un peu partout par le scepticisme ambiant des crises à répétition et dont on pensait que seule la guerre pouvait redistribuer les cartes.

Estéban
Grâce aux progrès technologiques, grâce aux scientifiques. Je crois que j’ai compris où était ma voix.

Sophie
Mais tu sais, rien ne t’empêche de concilier ta passion pour le cinéma et ton travail.

Estéban
C’est vrai, après tout, les deux sont le berceau de Cannes et me définissent parfaitement.

Sophie
Et bien jeune homme j’étais ravie de te rencontrer !

Sophie se lève du banc et remonte la Nouvelle Croisette avant de se dématérialiser complètement.