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Cannes 2050, la montée du funiculaire

1er Prix - Nouvelle

De GIOVANNONI Julien

« Je vous assure, Nina. Avant, il existait un Funiculaire à Cannes !

- Quoi ?

- Enfin je vous parle de ça, il a été mis hors service voila plus d’un siècle déjà.

- Ah… D’accord… Mais je vois encore moins le rapport avec un article sur les nouveaux attraits touristiques de notre ville. »

Nathan prit une large inspiration et récita d’une voix assurée :

« Il fut un temps pourtant pas si lointain au vu de la longue histoire de Cannes, où le funiculaire et son observatoire étaient la fierté de notre ville ! De 1928 à 1966, les Cannois grimpaient au sommet des collines de la Californie à bord d’un beau petit funiculaire ! »

Nina ne remettait pas en doute les connaissances de Nathan, il était le meilleur archiviste documentaliste historique de l’holo- Journal local. Mais il cessa d’agiter la touillette dans son café pour activer son Comput-phone en bracelet. L’image d’archive projetée en petit écran holographique confirmait ses propos. Un dépliant touristique de la vieille époque montrait les trois atouts principaux de la cité balnéaire de Cannes : La Croisette, le Suquet et… le fameux Funiculaire.

Au bourdonnement de la terrasse bondée dans ce café-restaurant en face de l’historique Palais des Festivals, les deux employés de « Cannes Sunset » avaient préféré un box privé où les murs holographiques les immergeaient dans un paysage cliché d’arrière pays avec sons de cigales et odeurs de lavandes.

« Et où sont situées les collines de la Californie ? »

Nina posa cette question à son propre Comput phone en médaillon. Comment faisait-on quelques décennies avant où il n’y avait pas de Comput-phone projetant immédiatement un plan 3D avec le curseur indiquant la réponse au lieu recherché ?

Le visuel du quartier Californie - Pezou était situé sur une colline surplombant la baie de Cannes à l'extrémité Est de la ville. Pourquoi leur journal s’intéressait-il à un tel lieu ? Surtout pour un article concernant l’attrait touristique de la ville côtière ?

Nina se frotta nerveusement ses beaux cheveux châtains clairs. Pour avoir monté la plupart des Holo-articles, elle savait à quel point la ville de Cannes avait répondu à tous les défis de cette moitié du 21ème siècle, enjeux climatiques, montée des eaux, préservation au maximum de la beauté du littoral. Tout le réseaux-ferroviaire côtier dit « Ligne nouvelle » avait été construit en souterrain, les trains circulaient bien plus rapidement. L’enfouissement de la gare de Cannes et le nouveau quartier de « Voie rapide », renouaient entre eux des quartiers jadis séparés par la voie ferrée. Le boulevard de la Ferrage en était ressorti plus aéré et ouvert sur une coulée verte construite dessus l’ancienne voie de chemin de fer. Les Boulevards et avenues du centre ville furent bordés de part et d’autres de nouvelles villa-immeubles mitoyennes aux nouvelles formes architecturales arrondies, avec murs-fenêtres, terrasses, capteurs solaires et structure en bois ignifugé. On retrouvait un aspect « village » dans l’une des plus grandes concentrations urbaines côtières du pays. Les polders, étendues artificielles de terres gagnées sur l’eau vers les plages du midi et La Bocca, recyclaient les déchets issus du fond de la méditerranée, protégeant une riche faune de poissons.

Mais il existait un changement majeur dans l’esthétique de la ville : la vente de tout le site sommital de la Californie au nabab multimilliardaire Norton Munch, une des plus grosses fortunes du monde, son entreprise ayant le monopôle en technologies holographiques. Nul ne comprit pourquoi la Mairie lui vendit une si grande part de quartier protégé en espaces verts et édifices classés au patrimoine culturel cannois ? Norton Munch fit recouvrir la colline sous un immense bâtiment de la forme d’une demie-sphère toute de béton et de vitres teintées vert clair. L’édifice, où seuls ses employés avaient l’autorisation de pénétrer, joignait ses différents niveaux par des routes de corniche tournant en spirale du bas jusqu’au sommet de l’édifice. Nul ne savait à quoi était destiné ce bâtiment de mégalomane. Et c’était justement sous ce monstre de béton que s’était jadis situé la montée du funiculaire avec son observatoire au sommet.

« Si j’ai bien compris, dit Anne en revenant vers Nathan, je vais pouvoir aller dans la coupole de Norton Munch afin de réaliser mon reportage sur l’ancien lieu du Funiculaire ! »

Devant le soudain regain d’intérêt de Nina, Nathan la regarda longtemps sans un mot et finit par dire avec un sourire mystérieux :

« Une rumeur dit que cet immense bâtiment sert à développer un système pour voyager dans le temps…

- Tu te moques de moi ?

- C’est une rumeur… Je n’en sais pas plus. En tout cas, si c’est vrai, la machinerie doit être énorme. Tu es une petit veinarde tu vas pouvoir aller voir par toi-même !

Nina emprunta une voiture électrique monoplace en borne de location jusqu’au boulevard Montfleury où se dressait le parvis extérieur d’une des grandes entrée à la base de l’immense bâtiment. Elle fût reçue et guidée par une hôtesse d’accueil humaine, un vrai luxe en cette époque où les robots étaient plus rentables. Nina cessa de compter le nombre de couloirs et escaliers empruntés sous les points d’ancrage des corniches. Elle se sentait engloutie dans ces énormes constructions de type « Avalon », adaptées au relief des collines. Sa traversée des sous-bassement et entrailles de l’édifice la mena finalement à une succession de salles de maintenance où ingénieurs et électroniciens entretenaient d’incroyables machineries futuristes. Norton Munch l’accueillit sur la plateforme d’un moteur dantesque où il mettait la main à la patte avec ses employés. La quarantaine, cheveux noirs en bataille, portant une tunique sophistiquée de mécanicien amélioré, il l’accueillit avec un immense sourire.

« Mademoiselle Nina du Cannes Sunset ! Ravie de vous rencontrer. Excusez-moi, j’ai l’habitude d’aller droit au but. Voulez-vous faire une petite montée du funiculaire avec moi ?

- J’en serai ravie monsieur Munch, mais cet ancien funiculaire n’a-t-il pas été totalement détruit sous les fondations de votre… propriété ?

- En effet, c’est pourquoi je vous propose cette montée dans l’année 1930 !

- Alors, vous avez réellement une machine à voyager dans le temps ? »

Arguant qu’une rapide démonstration valait mieux qu’un long discours, Norton Munch invita Nina à le suivre dans une cabine vide fermée, aux murs blancs capitonnés, une capsule prototype de voyage temporel selon lui. Il activa des commandes en cachette de Nina, puis la cabine sembla monter à toute allure dans un curieux effet d’apesanteur.

« Nous sommes arrivés ! » Dit fièrement Norton à Nina. « Imaginez que vous venez en dix secondes de voyager de cent vingt ans dans le passé ! »

Ils sortirent de la capsule et se retrouvèrent dans l’intérieur d’une maison. Norton indiqua à la journaliste une chambre avec armoire où elle pourrait enfiler des vêtements plus « à la mode » temporelle.
Vêtue d’une robe toute droite à la poitrine plate, l’ourlé arrêté dessus des genoux et ses cheveux cachés sous un chapeau cloche, elle observa le milliardaire dans son chic costume sombre d’une coupe démodée et un chapeau feutre sur la tête. Il lui proposa son bras pour l’accompagner à surgir dans le passé. Une porte les mena à l’extérieur d’une haute bâtisse baptisée « La Pitchoune », maison d’angle en forme de pentagone biscornu plus haute que large. On pouvait lire sur la façade « Chalet de Montfleury ».

« C’est le relais caché pour le retour à notre présent ». Lui chuchota Norton.

Pour joindre l’Avenue Val Vert juste après cette bâtisse, ils passèrent sous un court tunnel végétal formé par deux grands arbres dont les parures densément feuillues s’étaient rejointes. Nina avait ressenti dans l’air la sensation de pénétrer dans une ancienne époque de Cannes. S’engageant dans l’entrée de l’impasse du Val Vert, elle sursauta à la vue des gens qui attendaient pour monter « l’attraction » du funiculaire. Elle avait l’impression de se trouver dans une vieille photo noir et blanc de collectionneur, moins austère cependant avec les coloris des tenues et des visages non figés. Deux vieux tacots étaient garés sur les bords de cette route de gravats et terre. Nina laissa son regard s’envoler sur la haute colline verte où une tour d’observatoire trônait au sommet. Elle n’osait pas croiser le regard de ces gens, l’un d’eux était peut être son ancêtre. Au bout de l’avenue, la gare de départ du Funiculaire se présentait neuve avec son architecture façon chapelle rurale. L’endroit dans lequel Norton l’emmenait semblait irréel. Elle se retrouvait dans le hall de la gare avec ses hautes fenêtres à vitraux au sommet en voûte. Il acheta pour eux deux les tickets aux agents en uniforme et moustaches frisées dans leurs guérites en bois. Le petit quai couvert les conduisit jusqu’au wagon du funiculaire, d’un beau bois vernis à moitié peint en rouge, stationné en pente dans l’angle de son chemin d’ascension. Le wagon se remplit rapidement, le chef de gare siffla et le système de câbles de la remontée mécanique tracta le wagon, lui faisant débuter sa montée de la colline.

Nina n’arrivait toujours pas à réaliser qu’elle se trouvait en 1930, alors que quelques heures plus tôt elle était encore en 2050. Mais la magnificence du panorama occupa tout son esprit. En sept minutes, le Funiculaire de Cannes permettait de joindre un magnifique plateau au sommet des collines. L’ascension du wagon traversait des sous-bois où se mêlaient mimosas, agaves géantes et eucalyptus. Autour s’étendaient des jardins sauvages parsemés de pins, transformant le paysage en lieu de légende…. Soudain, devant tout cet enchantement, le flair journalistique de Nina lui dit que c’était trop beau pour être vrai, il devait y avoir un truc…

« Magnifique, n’est ce pas ? » Lui dit à l’oreille Norton. « Nous dinerons dans le restaurant belle-époque, puis nous irons admirer un incroyable panorama au sommet de la tour du funiculaire. »
La tour ! La tour ! C’était ça le détail qui clochait. Nina se retourna vivement vers Norton :

« Nous n’avons pas voyagé dans le temps ! Mon collègue archiviste Nathan m’a tantôt transféré toute sa documentation sur le Funiculaire. Je l’ai rapidement étudié et j’ai trouvé l’anachronisme ! Cette tour d’observatoire en béton là haut n’existait pas encore en 1930, il y avait un observatoire plus petit en bois. Ce n’est qu’en 1953 que ce pylône en béton fut construit ! »

Norton grimaça, les passagers autour d’eux semblaient soudains désorientés, répétant des propos en boucles, tombant apathiques, disjonctant. Norton parla dans sa montre à gousset camouflant son comput-phone.

« Désactivation du programme, nous achevons la montée du funiculaire ! » Il retourna vers Nina un sourire pincé, applaudissant son esprit de déduction. « Bravo, il n’y a jamais eu de voyage dans le temps. La capsule n’est qu’un ascenseur montant jusque dans cette installation sous dôme. Mon immense bâtiment recouvre la colline où j’ai fait rénover le funiculaire tel qu’il était à ses jeunes années. Mais la tour, c’est ainsi que je la préfère, même s’il s’agit d’un anachronisme. Quand aux figurants, il s’agit d’androïdes, des robots programmés pour jouer le jeu. Si quelqu’un comme vous découvre la supercherie, ils ne savent plus faire face à la situation.

- Mais pourquoi avoir fait croire aux gens que vous développiez une machine à voyager dans le temps ? Pourquoi maquiller ainsi vos travaux de rénovation du funiculaire ? »

Norton attendit qu’ils soient au sommet de la tour d’observatoire pour lui répondre. De là haut ils avaient un panorama magnifique sur toute la côte et l’arrière pays. En dessous, la ville de Cannes telle que personne ne l’avait plus jamais vu, presqu’encore un petit village de pêcheur, énormément de verdure, c’était à peine si les premiers des grands hôtels était construits sur le bord de la croisette. Bien sur, Nina savait que tout cela n’était qu’illusion, un faux décor panoramique diffusé sur la coupole interne de l’immense bâtiment dans lequel elle se trouvait. L’illusion du réel était cependant bluffant. Norton s’expliqua enfin :

« J’ai monté cette supercherie pour m’amuser, pour faire revivre le funiculaire qui était totalement détruit depuis de longues années d’abandon… et par nostalgie aussi. Cette dernière me fut léguée par mes ancêtres qui venaient en villégiature ici au début du 20ème siècle. Je préférais faire croire à un système de voyage dans le temps plutôt que d’être vu comme un milliardaire excentrique se gardant égoïstement une colline pour lui seul dans un environnement sous cage… Mais je veux rendre utile ce que j’ai crée, d’où mon invitation à votre holo-journal. J’ai décidé de rendre ce patrimoine aux Cannois. Après tout, ce voyage dans le temps en funiculaire serait une belle attraction vous ne trouvez pas ? »

Admirant des îles de Lérins plus vraies que nature, Nina acquiesça, elle tenait finalement là un bon article touristique.

« Est-ce qu’il est possible que l’on reste encore un peu ici ? J’aimerai profiter encore un peu de cette illusion avant que l’on retourne en 2050. »