NewslettersContact

3*10:2=15

de Sylvie Thomas

C'était logique : la veille j'avais dit à mon patron qu'il se débrouillerait sans moi l'an prochain... et inconsciemment j'ai dû songer trop fort « tant pis, après moi le déluge!!! » ?

Mais la journée n'avait pas commencé comme cela :
Après avoir déposé les enfants aux activités, je partais participer à l'anniversaire de ma « promo » d'étudiants. Oui désormais mon bac a plus de 20 ans et nous nous retrouvons avec plaisir après si longtemps, sûrement un brin curieux de la réussite des autres ou de leurs échecs, afin aussi de conforter nos choix de vies.
Ce fut bien plus que cela ce samedi : des retrouvailles, des rencontres, des découvertes.
De la curiosité et de l'intérêt pour le monde et les autres, une véritable écoute m'attendaient là.
Je quittais la réunion un peu tôt, ragaillardie par tant d'humanité et d'empathie rencontrées.
Je ne me doutais pas que la nuit m'en offriraient encore autant dans des circonstances bien différentes. A posteriori, ce week-end-là fut porteur d'espoir en démontrant que les valeurs de solidarité et de compassion parviennent à résister dans notre société.

Arrivée à la maison après les courses de la semaine, je suis heureuse de constater que j'arrive juste avant qu'il ne se mette à pleuvoir ! Il est presque 19h et les enfants mangent. Fatiguée je laisse les courses dans les sacs et cartons pour les rejoindre à table avec leur père. Il a travaillé tôt ce matin et les changements de météo me le changent en crapaud : c'est bien le mâle de la grenouille qui indique lorsqu'il pleut ? Le comparatif n'est pas flatteur mais il a du mal à monter à l'étage à chaque fois que le ciel se met à pleurer ou revient au beau fixe.
C'est le week-end : tous deux éreintés nous programmons de nous lover sous la couette avec un bon film. Il est à peine 21 heures, les filles viennent d'avoir leur histoire et n'ont pas demandé leur reste. La maison ronronne : le sèche-linge tourne et il ne me reste qu'à lancer la lessive. Un appel mais pas le temps de décrocher : « Rappelle la voisine je descends vérifier le linge et j'arrive tout de suite ».

Là en y repensant je me dis que notre cerveau est une drôle de machine: il est capable d'ignorer les messages reçus par nos yeux: espoir, optimisme ou seulement déni ?
En tous cas lorsque je suis arrivée en bas, l'information reçue «flaque marron près de la porte d'entrée» n'a pas été traitée. Mon esprit a seulement songé «Etrange que la machine à laver (qui ne tourne pas) soit à l'origine de la fuite qui traverse le mur... et marron comme cela?»
Cet esprit est bien trop cartésien: quelle explication est acceptable? De la logique voyons, du connu, rien qui ne puisse sortir de l'ordinaire!

La porte d'intercommunication avec le garage ouverte, j'ai regardé non le sol, mais le plafond à la recherche, stupidement pleine d'espoir, d'une fuite qui expliquerait cette entrée d'eau. Et oui une fuite dans une toiture cela se colmate!! cela peut rester sous contrôle... mes yeux vont d'un plafond sec au vasistas au fond du garage bien fermé et étanche, à la porte du garage, au plafond, au vasistas puis de nouveau à la porte sur laquelle enfin je baisse les yeux: Euréka nous sommes inondés mais cela vient du collecteur des eaux de pluie plus bas, pas beaucoup plus bas malheureusement, il doit dégorger et cela remonte. Enfin je réagis: il faut fermer la porte pour que cela n'entre pas plus. Empêcher que cela passe, que cette eau ne passe. J'attrape une housse de couette: j'y crois peu mais  elle servira de boudin qui pourrait contenir l'arrivée de l'eau si ce n'est pas trop important.

« Tu as eu la voisine ? Ouvre le volet vite » j'ai prononcé cela me semble-t-il en même temps que j'ai remonté les escaliers à la volée. Je suis debout j'appuie sur le bouton d'ouverture du volet et là seulement je comprends: il est à peine 21 heures passées peut être 21h15 ou 30... nous en avons traversé des orages et notre système d'évacuation a jusque-là bien marché, mais là c'est autre chose. Le canal d'évacuation des eaux de pluie derrière la maison a dû se boucher !! cela fait 3 semaines depuis qu'il a été déblayé et cela repousse tellement vite: nous devions vérifier demain... et rentrer les jeux et chaises d'été qui restaient encore dans le jardin après ces week-ends ensoleillés de septembre... La culpabilité s'empare de moi : nous aurions dû ranger, nous aurions dû nettoyer dès aujourd'hui!! Et puis demain au programme c'était festival du livre de Mouans Sartoux avec les petites: la maîtresse avait mis un billet d'entrée dans le cahier et nous ne pourrons probablement pas y aller.

Nous étions fatigués, nous avions déjà eu une grosse journée mais il fallait sauver les carnets de santé, les jouets, monter les courses, sortir les tiroirs, attraper les chaussons de rafting pour ne pas glisser dans l'escalier, mettre à l'abri les chiffons et torchons qui nous seraient utiles pour nettoyer car il faudrait sûrement nettoyer....

Les plombs ont sauté, nous avons agi dans le noir, à la recherche de bougies. La porte du buffet a été refermée aussi vite que ce que j'avais tenté d'attraper les bougies qu'elle renfermait car le tintement des verres m'a convaincue de ne pas leur laisser l'opportunité de voguer plus loin.

A la recherche aussi d'une lampe torche l'un de nous est resté coincé dans le garage un temps indéterminé. Lorsqu'il est revenu dans la maison, la porte d'intercommunication s'est coincée, beaucoup d'eau est entrée, le gazon en a profité.
Oui c'est le début d'octobre : le planning était à l'ensemencement de la pelouse en prévision du printemps prochain pour que les enfants puissent jouer dans un environnement vert. Le gazon a prospéré dans la maison entre les plinthes et le mur, derrière les meubles ou sous l'escalier. Cela deviendra plus tard une anecdote à raconter.

Monsieur est resté réveillé 22 heures ce jour-là et avec ses maux il a tout de même monté et descendu nos escaliers pour essayer de préserver ces objets que nous savions non remplaçables, sans valeurs marchandes mais bien utiles tout de même.
Tout n'est pas monté: le canapé s'est dévoué pour porter ce qui ne pouvait guère être déplacé à l'étage, il n'a pas survécu.

Le plus difficile, et auquel je repense parfois, c'est ce que m'a dit mon conjoint probablement vers 2 heures du matin : « nous sommes bien fatigués, viens te reposer. Nous avons fait ce que nous pouvions fais une croix sur ce qui reste et viens te reposer. » Oui ce qui restait était de moindre importance : j'avais normalement identifié tout ce qui était photos, papiers, souvenirs, utilitaires,... mais c'était renoncer : renoncer à ma maison telle que je l'avais connue, ne plus maîtriser, laisser faire.... mais avais-je maîtrisé quelque chose à un moment quelconque ce soir-là ?

A ce désastre s'ajoutait une pointe d'angoisse: mes parents revenaient de voyage ce samedi.
Ils devaient arriver vers 21 heures, voire 22 heures et étaient injoignables. Je leur laissais des messages leur demandant de dormir loin d'ici, de ne pas rentrer.
Je me suis souvenu de la route qui contourne l'aérodrome : un Noël lorsque j'étais plus jeune j'y passais avec ma mère pour rejoindre la famille et la route n'y était pas visible tellement la pluie tombait fort et en quantité.
« La sortie d'autoroute à La Bocca sera sûrement impraticable. » J'ai regardé par la fenêtre et vu la piscine hors sol de ma voisine submergée par les eaux.
Les canaux d'évacuation peuvent ils se boucher à ce point ?

Plus d’électricité, plus de batterie de téléphone, pas de nouvelles : je me couche et je bous. Le volet est resté ouvert : les voitures sont probablement perdues mais rester zen : ce n'est que matériel .. voyons déjà que cela cesse.
Jusqu'où va monter l'eau ?
Elle est restée longtemps à la première marche de l'escalier pendant l'évacuation du rez de chaussée puis a gagné la deuxième : cela va monter encore ?
J'ai éteins mon téléphone pour avoir juste ce qu'il faudra de batterie si besoin est.

Avant de monter j'ai pris un biberon, le lait et le chocolat et puis des biscuits et leurs chaussures une paire chacune. Préparer un réveil sans inquiétude et avec le train-train quotidien pour ne pas les perturber. J'ai voulu prendre le micro-ondes et puis je me suis raisonnée: le lait peut se boire froid et la bouilloire permettra de faire un bain marie si besoin.
Je me suis couchée mais mon esprit n'a pas dormi : « que dire demain matin aux filles ? Je suis heureuse car elles dorment et n'ont rien vu. Nous sommes à la maison et pas dehors avec elles. »
Je n'imaginais pas à ce moment-là qu'elles quitteraient la maison au matin pour ne revenir y vivre qu'un mois et demi plus tard....

Mes voisins ont fait nuit blanche. Je me suis levée peu de temps après m'être couchée et avec leur aide j'ai récupéré l'électricité, une raclette, un aspirateur à eau. Ne pas me sentir seule m'a donné le courage et l'énergie de commencer à ramasser la poubelle du recyclage qui était tombée et s'était répandue dans toute la maison, à racler, à évacuer l'eau et la boue. J'aurais poursuivi la nuit ainsi si vers 6h30 ma petite n'avait pas appelé maman pour lui essuyer le pipi : nous étions bien dans la réalité, ce n'était pas un cauchemar. Je suis remontée pour câliner, lancer un SOS/ SMS à la famille « si vous n'avez pas les pieds dans l'eau nous aurions besoin d'un peu d'aide ce matin » et essayer de me reposer.

Il n'y a heureusement pas eu beaucoup d'eau dans notre maison, aucune perte essentielle, il y a eu bien pire et douloureux ailleurs, mais pas si loin. Raconter cette journée et cette nuit alors que d'autres ont connu pire c'est un peu étrange : comme si l'on se lamentait alors que l'on n'en a pas le droit mais quand même un peu..

Ma maman, qui habite à 2,5 kms de chez nous, a eu une remarque étonnante sur le coup: « c'est ta sœur qui nous a dit, nous n'aurions jamais imaginé que vous pouviez avoir été touchés ». Mais  personne n'a pu imaginer tout de suite l'ampleur de ce qui s'était passé et seules les images qui ont ensuite circulé nous ont permis d'envisager que nous n'étions pas seuls, que cela ne pouvait pas être de notre faute.

Morale de l'histoire : ne rien remettre au lendemain, savoir que ses voisins sont des gens biens, que l'écologie et les modifications climatiques sont bien concrètes, que notre petit nid ne sera pas transmis de générations en générations et que nos enfants devront apprendre à vivre différemment et peut être ailleurs.. et conserver notre canal d'évacuation des eaux de pluie bien entretenu !