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Journal d'un survivant

Nouvelle - Prix spécial Anticipation

De STABLE Quentin

Le soleil se levait sur Cannes, connue pour son très célèbre festival du film, ses stars foulant le tapis rouge, ses palaces et sa très prisée Croisette, annonciateur d’une journée plaisante et relaxante.

Pourtant, les temps ont changé.

Tout ce que le monde connaissait de cette ville n’est plus. Le majestueux Hôtel Carlton était tombé en ruine. Béant, seul son hall d’entrée et la porte à tourniquet rappellent sa splendeur d’antan. Les immeubles et maisons ne sont qu’un tas de gravats. Les plages, dont le sable était autrefois lisse et brulant, sont jonchées de détritus, morceaux de bétons. La nature a repris ses droits sur la civilisation. Du lierre a poussé sur les murs et une végétation luxuriante recouvre la plupart des décombres. Dans la ville, plus rien ne bouge, tout est immobile, sans vie.

Seul le Palais des Festivals est resté plus ou moins intact. Le Bunker avait tenu sa promesse : indestructible bloc de béton !

À l’intérieur même du palais, dans ce qui ressemble à une grotte aménagée, des restes d’un squelette humain. À ses côtés, un livre. Ouvert, des feuilles arrachées ou en miettes et sur la couverture on distingue ce titre : « Journal d’un survivant ».

Voici ce qu’on peut en lire :

Jour 16

Chaque jour je me demande si Dieu m’a accordé l’ultime salut ou s’il m’a abandonné aux portes de l’Enfer. Voilà des jours, des semaines peut-être que je tente de trouver une issue vers dehors depuis le parking du Palais qui s’est écroulé sur moi. Je me suis réveillé piégé sous des blocs de bétons. Au début j’ai espéré mais rien, aucune aide, les seuls bruits qui me parvenaient étaient ceux des humains qui comme moi criaient à l’aide au loin. Puis… plus rien. Je suis seul.

Jour 26 :

Je gratte toujours les décombres, je me faufile, me hisse puis reviens sur mes pas, le tout dans le noir. J’ai mal partout, j’ai faim. J’ai épuisé les quelques vivres que j’avais dans mon sac et je bois de l’eau qui ruissèle de ce qui ressemble à une canalisation. Mais aujourd’hui je vois la lumière percer à travers les débris. L’odeur des corps qui pourrissent autour de moi est insoutenable. Je redouble d’efforts. J’ai peur, très peur. Je cris parfois mais cela m’épuise et ne sert à rien, personne ne répond. Mon seul objectif dorénavant est de survire et de sortir vers la vie, il n’y a que cela qui me reste à faire…

Pages arrachées…

Jour 123 :

Voilà des jours que je n’ai rien écrit. À quoi bon… je suis sorti de ma prison de béton et d’acier mais pourquoi ? Ce trou est redevenu ma prison. Je m’y réfugie tous les soirs. Dehors, j’ai arpenté des décombres, gravis les amas de détritus, j’ai amassé toutes sortes de provisions pouvant encore être comestibles, dans les décombres du Monoprix près de la gare et du Carrefour de la Rue Meynadier. Mes journées se résument à fouiller les ruines en remontant les rues sans toutefois m’aventurer trop loin pour revenir me mettre à l’abri dans mon trou. La ville est coupée en deux à la hauteur du Lycée Carnot. Une faille immense formant un cratère infranchissable depuis la Californie jusqu’au loin à l’ouest. Mais que s’est il donc passé ? Cette question me hante. Collision avec une météorite ? Ce cratère me confirme dans cette hypothèse. Ma solitude me pèse. Ma routine me pèse. Je désespère. Dès que la nuit tombe, j’entends des bruits. Les animaux sont devenus sauvages, la ville de lumière est devenue obscure. Y a-t-il quelqu’un qui nous cherche ? qui me cherche ? le reste du monde est-il dans le même état ?

Je dois me remettre en quête de provisions et vite.

Parties arrachées ou illisibles

Jour 234 :

Aujourd’hui j’ai tenté une expédition jusque chez moi en haut de Carnot. J’ai essayé de contourner le cratère en remontant la colline du petit Juas. J’ai passé la nuit dans les restes d’un garage. Je n’ai pas pu dormir. Ici c’est la jungle, des animaux errent à la recherche de nourriture, la végétation est tellement dense que j’ai du mal à avancer. J’ai trouvé un pommier, petit miracle survivant. 1 journée de galère pour arriver jusqu’ici, quoi 1km ?! et ce cratère est infranchissable. Du haut du petit Juas vers l’hôpital, je vois sa plaie béante ouverte jusqu’à l’Estérel. Je ne traverserai jamais. Tout espoir de retrouver des humains s’est volatilisé depuis longtemps. Cette expédition m’a épuisé et m’a abattu. J’ai récupéré dans l’hôpital des couvertures, des médicaments, des biscuits rassis et quelques repas protéinés encore bons. Mes provisions s’amenuisent, je ne trouve plus rien de comestible, si je veux survivre il va falloir que je chasse. Au niveau de la rue des Serbes, le ruisseau est devenu une rivière qui m’alimente en eau douce. Cette ville qui était la mienne m’est devenue hostile.

Jour 326 :

La chasse et la pêche sont devenus mon quotidien. En passant parc des Hespérides sur la Pointe Croisette j’ai découvert des terriers de lapins. J’ai aussi appris à abattre les pigeons avec une fronde improvisée. Au parc de la médiathèque Noailles, je me suis constitué un mini jardin. J’ai planté des graines trouvées dans les débris de la pépinière des sœurs Schneider et je récolte l’eau de pluie. J’ai aussi trouvé dans les restes de la médiathèque un livre sur la survie en milieu hostile. Je suis seul, je ne peux compter que sur moi. Pourtant, il me semble parfois entendre parler, surtout la nuit. Des voix humaines au milieu des cris des animaux. Des voix qui appellent.

Jour 428 :

C’est à se demander pourquoi je vis encore, si ce n’est l’espérance désormais futile que je porte à un éventuel secours. En longeant la rue d’Antibes il m’arrive parfois de tomber sur des produits de luxe qui rayonnaient autrefois dans les vitrines des magasins désormais en ruine. Il me revient en tête mes virées avec mes amis et comme nous regardions avec envie ces vêtements et matériels hi-tech qui sont aujourd’hui étalés à ma portée. En fin de journée, j’ai décidé de monter au Suquet. Je n’y étais plus retourné depuis longtemps.

De là-haut je contemple la ville démolie qui s’étend, devant moi, imposante, désertique, et silencieuse. Alors que je m’apprêtais à partir, je vis sur la pointe de l’ile Saint-Honorat une fumée blanche, épaisse. Je n’en croyais pas mes yeux. La fumée ressemblait à celle d’un feu de camp. Il est trop tard pour que je m’aventure sur la mer maintenant. C’est fou ! Je ne tiens plus en place. L’impatience et l’enthousiasme m’envahissent à l’idée de trouver un autre survivant, mais je dois me concentrer et rassembler toutes mes forces dès demain pour fabriquer un radeau et aller voir de moi-même.

Jour 430 :

J’ai fabriqué un radeau avec quelques planches de bois, des bidons et quelques cordes que j’ai trouvé dans l’ancienne capitainerie du vieux port. La mer était plutôt plate et le vent léger me poussait au sud, idéal pour commencer mon expédition. La traversée fut quelque peu éprouvante.

Arrivé sur Saint-Honorat, je pris le sentier à droite. La végétation était moins envahissante comme si quelqu’un avait tenté de ralentir sa progression. Ravivé par l’idée de trouver quelqu’un, je me dirigeais vers la pointe de l’ile, la ou la fumée m’avait alerté. Je me suis bientôt retrouvé dans une clairière ou une sorte de camp était aménagé avec des planches. Un petit feu encore chaud me fit monter les larmes aux yeux. J’appelais « Hé !! Y'a quelqu’un ?? » « Y'A QUELQU’UN ! »… Mais rien… Le silence… Soudain, un bruit m’alerta dans les buissons. C’est alors qu’une masse hirsute en haillons, surgit et se jeta sur moi. Il grognait comme une bête et ses mains d’une puissance incroyable me prirent à la gorge. Je me débattais, en vain. J’allais mourir. Mes mains grattaient le sol quand mes doigts tombèrent sur une grosse pierre.Dans un dernier effort, je la soulevais et frappais mon assaillant à l’arrière de la tête. L’homme tomba à terre et ne fit plus un geste. Il me fallu de longues minutes pour revenir à moi et lorsque je vis l’homme qui respirait toujours, je compris que je l’avais gravement blessé. Je le regardais longuement. Il devait avoir 30 ans, sa barbe et ses cheveux étaient longs et sales, il était habillé de plusieurs couches de vêtements. Sa crasse et sa peau noircie par le soleil et la vie en extérieur le rendaient presque animal. Il saignait beaucoup et allait certainement mourir si je ne faisais rien. Affolé, je le mis sur mon dos et le portais tant bien que mal sur le radeau, et me remis en route vers Cannes.

Jour 445 :

Mon nouveau compagnon vit toujours. Je l’ai trainé dans mon repère sous le Palais. Je le soigne avec ce que j’ai sous la main. Je reste à ses cotés autant que je peux, ne sortant que pour aller chercher à boire ou à manger ? En le soignant, j’ai trouvé un crucifix à son cou. C’est donc un moine du monastère. Qu’elle ironie, lui et moi étions les seuls survivants depuis si longtemps et nous nous sommes presque entretués. Je redouble d’efforts pour qu’il s’en sorte.

Jour 466 :

Il est mort… Alors que je rentrais de la pêche, je le trouvais inerte gisant à terre. Il avait dû tenter de ramper vers l’extérieur. Mon coup lui avait été fatal. Je suis resté longtemps assis à ses côtés. Je n’arrête pas de me ressasser cette lutte. Et si je n’avais pas tapé aussi fort ? et si je lui avais proposé des vivres plutôt que de crier ? Pourquoi n’avait t'il jamais tenté de quitter l’île. À quoi bon me questionner il n’y aura jamais de réponse. Je suis désemparé…

Jour 475 :

C’est décidé, je quitte cette ville. Je vais prendre la mer et quitter ce lieu maudit, je n’ai plus rien à faire ici. Je suis hanté par la vision de cet homme, je culpabilise tant. J’ai quitté ma cachette en laissant le corps, l’endroit est de toute façon un tombeau. Je me suis installé provisoirement dans la gare maritime. Je consolide mon radeau. Je vais prendre le strict nécessaire à bord. Je compte partir vers l’est longer la côte. Demain je prends la mer. Je dépose ce journal à coté du cadavre de l’homme que j’ai tué, je lui confie mon histoire, puisse-t-il me protéger, veiller sur moi… Puisse le sort m’être favorable.