Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec le premier palmarès cannois, la question de la construction d'un palais est de nouveau posée. La priorité de la municipalité reste de trouver un emplacement. Son choix se fait sur le terrain du Cercle nautique, vétuste construction datant de 1864. À cette époque, la ville en est propriétaire. Quelques années auparavant, en plein conflit, elle a conclu un marché avec la société Antin-Joubert, filiale des Galeries Lafayette. La municipalité doit s'acquitter alors d'un loyer mensuel de quatre mille francs et signe un bail de quinze ans.
Mais, après la guerre, la société en question demande l'annulation du bail. Cette décision crée une situation problématique ; les deux parties se retrouvent devant les tribunaux pour régler le litige. Le docteur Raymond Picaud, nouveau maire de Cannes, n'attend pas la fin du procès pour agir. Il engage des négociations pour résoudre le problème afin de conserver le terrain. Le docteur Picaud a en vue de bâtir le palais nécessaire au Festival international du film. La Ville signe donc un bail de cinq ans avec cette société, incluant une promesse de vente dont le montant s'élève à seize millions de francs.
Malgré les efforts de la municipalité cannoise, le projet est encore retardé en raison de problèmes cette fois apparus au niveau national et international. Après l'édition de 1946, la France et l'Italie concluent un accord. Leur festival cinématographique respectif doivent se dérouler en alternance, une année à Cannes, une année à Venise. L'année 1947 devait donc laisser place au Festival de Venise. Le dirigeant cannois, Philippe Erlanger voulait cependant maintenir une manifestation à Cannes, mais celle-ci ne devait accueillir que des films français. Ainsi, en 1947, la construction d'un palais ne semble plus nécessaire. L'accord franco-italien est rapidement rompu mais côté français, la situation ne s'améliore pas, elle s'aggrave même quand le Parlement refuse de voter les crédits nécessaires à l'organisation du Festival de Cannes. François Mitterrand, qui alors assure l'intérim des Lettres et des Arts, confirme « qu'un tel festival ne peut avoir lieu que tous les deux ans ».
À Cannes, on n'a pas le même avis. Le docteur Picaud veut coûte que coûte donner un palais au festival de sa ville. Il a conscience que cette initiative fera taire les demandes pressantes des autres villes françaises qui, après-guerre, réclament l'organisation du festival international. Alors, au cours d'une séance du Conseil municipal, le maire fait voter un emprunt de cent dix millions de francs pour la construction du bâtiment. On confie la réalisation des plans de l'édifice aux architectes Nau et Gridaine, ce dernier ayant déjà participé à l'élaboration du projet de la Cité du Cinéma de Mougins.
Les architectes élaborent un ambitieux projet d'architecture intérieure et des équipements techniques ultra-modernes. Ce Palais des Festivals doit accueillir des manifestations dédiées au cinéma mais aussi à la danse, à la couture, à la mode et aux parfums. On y prévoit des salons de thé, des bars américains, un luxueux restaurant, un solarium, une piscine lumineuse, une piste de danse et l'emplacement pour deux orchestres.
La partie centrale du toit doit accueillir le Bar du Soleil et, devant la piscine à droite, un court de tennis ; à gauche, des tables de ping-pong, un espace de culture physique et un chenil.
Quant à la salle dédiée aux projections, elle doit être « la plus moderne qui existe au monde », confient les deux architectes. Elle est conçue pour recevoir les constructeurs français et étrangers qui doivent exposer leur matériel en démonstration. Une cabine centrale et deux latérales sont prévues pour les projections en relief et un système spécial assure les transparences.
Le matériel est choisi avec le plus grand soin afin d'être présenté aux responsables étrangers : « Des haut-parleurs stéréophoniques permettront la reproduction du relief sonore. Un exemple : si un avion traverse l'écran, le son paraîtra suivre l'image. Des diffuseurs d'ambiance seront aussi placés dans les murs et au plafond en laine de verre de couleur bleu nuit », ajoutent Nau et Gridaine pour finaliser leur projet.
Côté salle, mille fauteuils-club doivent être placés au parterre et la moitié au balcon ainsi que cinquante loges. La salle n'est pas limitée par des murs mais par des parois ajourées sur lesquelles sont fixées des petites lampes. Derrière, un immense rideau circulaire éclairé à la base par des projections de lumière colorée qui conditionne la largeur de l'écran.
La décoration doit habiller l'ensemble avec des représentations d'allégories en peinture fluorescente comme les dieux de l'Olympe et les signes du Zodiaque, illustrations qui doivent exprimer « le triomphe de la technique moderne alliée à l'image de l'art et du raffinement français », concluent les responsables.
Le 20 mai 1947, le chantier est ouvert sous la direction de l'entrepreneur Maurice Zincaro. Les ouvriers travaillent jour et nuit. Les travaux sont rendus difficiles par le retard des livraisons de matériaux. Par exemple, la charpente métallique, clef de voûte de l'édifice, est attendue pour le 10 août ; elle arrive vingt jours plus tard !
À ces difficultés matérielles viennent s'ajouter les problèmes financiers. Les crédits alloués sont rapidement insuffisants. L'entrepreneur demande un supplément de facture de dix-huit millions de francs en raison des divers remaniements de plan qui ont entraîné des dépenses supplémentaires.
Cette nouvelle situation plonge la municipalité dans l'embarras. Le docteur Picaud est bien conscient que la Ville ne dispose plus d'une telle somme ; il reste cependant déterminé, soutenu dans son projet par des militants de la C.G.T. lesquels participent bénévolement à la construction.
Fin 1947, une nouvelle équipe municipale est élue, avec à sa tête Charles Antoni qui reste six ans maire de Cannes. L'édification du Palais se poursuit mais à un rythme lent car en 1948, le Festival est annulé, faute de crédit. Il faut attendre l'année suivante pour voir la question réapparaître parallèlement à la remise en route de la manifestation cinématographique.
Il reste pourtant le douloureux problème du remboursement des crédits dont la Ville a bénéficié. Le journaliste Michel Pascal, après enquête, affirme que le gouvernement français aurait retiré dix millions de francs au crédit obtenu par Cannes pour empêcher la municipalité de construire un édifice trop grand, ce qui aurait pu être une source de mécontentement pour les responsables vénitiens.
En 1949, la municipalité décide de régler le problème. Un accord est conclu sur les échéances et le montant du remboursement mais « la note est lourde à payer », déclarent les responsables.
Ce n'est pas la seule difficulté qui se pose aux dirigeants. La construction de l'édifice n'est toujours pas terminée et pourtant, le ministère des Affaires étrangères a déjà envoyé les invitations pour l'édition qui se prépare ; les délais doivent dès lors être tenus. Robert Fabre Le Bret, s'inquiète : « Si le Festival international ne pouvait avoir lieu à la date précise, non seulement Cannes, la Côte d'Azur, mais la France, se rendraient ridicules aux yeux des nations étrangères invitées », annonce le secrétaire général du Festival de Cannes.
Dès lors, avec l'implication des ministères, cette histoire devient une affaire d'État ; il faut redoubler d'efforts pour édifier le Palais dans les temps. Les travaux sont pas tout à fait achevés pour l'ouverture du Festival le 12 septembre 1949 ; malgré tout, la manifestation s'y déroule.
Le premier jour du Festival, le maire de Cannes, Charles Antoni, inaugure le bâtiment ; à 21 heures, il coupe le ruban tressé de fleurs à l'entrée du Palais et énumère la liste complète de tous les fournisseurs. Il tient à rendre hommage aux ouvriers, lesquels viennent se présenter sur la scène. François Mitterrand, représentant du gouvernement, fait également un discours, rappelant au public que dix ans auparavant quasiment jour pour jour, « la France ne pensait pas au festival de cinéma et entrait en guerre ».
L'édifice a certes ouvert ses portes mais possède encore quelques imperfections : on ne compte que 1 000 places disponibles, au lieu des 1 800 prévues ; dans les étages, il n'y a que quelques bureaux, insuffisants pour les nombreux services de l'organisation du Festival qui trouvent refuge sous le court de tennis couvert du Carlton. Le nouveau Palais laisse une impression d'inachevé, pour preuve les nombreuses plaisanteries qui ont hanté la Croisette tout au long de l'édition : « Les gens plaisantent et demandent qu'on leur réserve une brique » se souvient le journaliste François Chalais.
Le soir de l'inauguration, après l'entracte, le directeur de la salle s'apprête à rappeler le public. Il cherche désespérément la sonnerie pour prévenir les spectateurs de la reprise de la projection. Il la cherche en vain et doit contacter l'architecte Gridaine en urgence. Mais celui-ci, confus, n'est pas certain d'avoir prévu ce détail ; cette petite défaillance de mémoire le force à partir en hâte pour consulter ses plans. Le lendemain, Gridaine se déclare malade ; il retrouve heureusement l'emplacement de la sonnette le lendemain.