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Les années 2000 : un festival en évolution

Le Festival de Cannes a traversé les décennies, survécu aux moments de crise mondiale, aux aléas de la production cinématographique et résisté aux modes.

C’est par un perpétuel mouvement, une remise en question permanente, que les dirigeants adaptent leur manifestation aux besoins du cinéma mondial et des professionnels. Ils réfléchissent à l’avenir de leur concours en suivant de très près les avancées technologiques et prennent la température de ces années 2000 qui ouvrent une autre ère pour le septième art et ses moyens de diffusion.

Le Festival de Cannes se libère, ose la diversité, prend des risques et fête son 60e anniversaire sans avoir pris une ride. Il va de l’avant et s’agrandit encore. Enfin, il rend hommage à tous ses talents, présents et disparus, ceux qui ont contribué à son succès et sa reconnaissance internationale, sans nostalgie mais avec un grand respect.

Les anniversaires du Festival de Cannes et de ses sélections parallèles

Nombreux réalisateurs pour le 60e Festival de Cannes
Nombreux réalisateurs à l'occasion du 60e Festival de Cannes ©Traverso
Dès 2002, le ton est donné. La décennie qui s’ouvre promet de belles commémorations, hommage aux années d’existence de la manifestation cannoise dans son ensemble. C’est la Semaine internationale de la Critique qui ouvre les festivités en célébrant, en 2002, ses 40 ans de sélection. Et c’est l’occasion de rappeler que c’est la plus ancienne des sections parallèles du Festival cannois. Fidèle à ses objectifs de départ, elle n’a cessé de révéler de grands et nouveaux talents avec audace, liberté et enthousiasme, entre autres, Bernardo Bertolluci, Ken Loach, Leos Carax, Arnaud Desplechin, Wong Kar-Wai…

D’ailleurs, c’est l’un de ces réalisateurs, Ken Loach, qui a accepté de parrainer la 40e Semaine Internationale de la Critique. La sélection de Kes, son deuxième long métrage, a sans doute marqué un vrai départ dans la carrière de ce jeune cinéaste anglais d’une trentaine d’années en 1970. Ce film, en hommage, a été projeté à Cannes en 2001, dans la salle Miramar.

Bernardo Bertolucci a également participé à l’anniversaire en revenant vers les jeunes cinéastes lors d’une séance de travail. Côté palmarès, le Prix du long métrage a été attribué à Reza Mir-Karimi, cinéaste qui représente l’Iran, avec Zir-é Nour-é Mâh (Under the Moonlight) et, celui du court métrage est revenu à Bill Plympton, réalisateur américain, pour son film Eat.

Luc et Jean-Pierre Dardenne
Luc et Jean-Pierre Dardenne

En 2008, c’est au tour de la Quinzaine des réalisateurs de souffler sa quarantième bougie. Cette sélection, née dans le tumulte après l’édition cannoise de 1969, a pour but de révéler les talents mondiaux en toute liberté. George Lucas, Martin Scorsese, Theo Angelopoulos, les frères Taviani, Jim Jarmusch ou les frères Dardenne sont quelques-uns des réalisateurs découverts par cette sélection.

Outre une sélection riche et novatrice, cette 40e édition a été marquée par la projection du documentaire 40x15, réalisé par Olivier Dahan ; le film retrace l’histoire de la manifestation, de la scène aux coulisses.

Quant à la sélection officielle, elle fête ses 60 années d’existence en 2007. Gilles Jacob et son équipe ne veulent pas donner un ton nostalgique à cette commémoration mais, bien au contraire, penser à l’avenir. C’est ainsi que le président du Festival de Cannes demande à trente-cinq réalisateurs de faire un film à sketches. À chacun son cinéma sera donc projeté à Cannes ; c’est à la fois une œuvre rendant hommage à tous les talents cannois et qui met le septième art à l’honneur tout comme l’exposition de photographies qui anime les rues de la ville sur lesquelles les plus grands du cinéma montrent leur attachement au Festival de Cannes et à son énergie toujours plus grande.

Et cet anniversaire illustre bien les nouveaux défis du Festival de Cannes : ne pas seulement se tourner vers son riche passé mais penser à l’avenir, celui d’un cinéma qui change rapidement au gré des transformations technologiques et des événements mondiaux.

Le Festival de Cannes entre dans le nouveau millénaire

Le Festival de Cannes entre dans le nouveau millénaire et c’est une équipe remaniée qui en prend les commandes. Après vingt-trois ans de service en qualité de délégué général, Gilles Jacob devient président de l’association en remplacement de Pierre Viot. Il s'entoure de Thierry Frémeaux, responsable artistique et de Véronique Cayla, directrice technique – laquelle laisse sa place à Catherine Démier pour les années 2005 et 2006.

Cette équipe expérimentée réfléchit très tôt au devenir de la manifestation, à la préparation du 60e anniversaire prévu en 2007, aux éditions suivantes et au rôle toujours en mouvement d’un concours cinématographique : « Un festival fait le lien entre les créateurs et le public […]. On oublie souvent sa mission de rencontres : la possibilité donnée aux cinéastes ayant ou non un film sélectionné de se rencontrer et d’échanger. Nous tentons de favoriser cette présence par des invitations au jury, des hommages, des leçons, des colloques […] » explique Gilles Jacob, qui donne sa définition d’un festival moderne.

Et Thierry Frémeaux, délégué général depuis 2007, ajoute : « Le Festival est aussi un marché, pour les acheteurs-vendeurs internationaux, il est aujourd’hui l’aboutissement, non plus le point de départ. Autrefois, on y découvrait  les films. Maintenant, tout se fait en amont et les sélections sont connues des professionnels un mois avant d’être rendues publiques. Mais les ventes sont souvent finalisées après la projection à Cannes » dit-il.

La direction du Festival de Cannes a cerné tous les enjeux inhérents à la manifestation et à son avenir en prenant en compte des besoins des professionnels du cinéma et les espérances du public. Elle sait aussi que son concours et les sections parallèles doivent sans cesse se renouveler pour créer, chaque année, l’événement cinématographique mondial.

Des films événements, en avant-première, des festivités grandioses ou des invités de marque font partie de la recette cannoise qui fonctionne depuis la première édition de la manifestation. Et parfois, succès phénoménaux, agitations ou scandales viennent s’ajouter aux ingrédients de ce concours hors du commun.

La Palme d’or de Michael Moore agite la Croisette

Michael Moore
Michael Moore - 2007 - © Traverso

Le Festival de 2004 est une édition particulière qui se déroule sur fond de guerre en Irak. Et cela prend de l’ampleur lors de la divulgation du palmarès. La Palme d’or est en effet attribuée à Michael Moore pour Fahrenheit 9/11, film qui égratigne la politique du président américain George W. Bush et de ses conseillers.

Prenant pour point de départ l'élection controversée de 2000, le réalisateur retrace l'improbable ascension du pétrolier texan devenu « maître du monde libre ». Puis, il révèle les liens personnels et financiers qui unissent la famille Bush à celle de Ben Laden. Le réalisateur y dénonce également les méfaits du Patriot Act et les souffrances provoquées par la guerre en Irak.

Michael Moore, avant de concourir à Cannes, avait déjà connu quelques problèmes aux États-Unis. La distribution de son film avait été bloquée par la Walt Disney Company sur le sol américain. La raison invoquée était que Fahrenheit 9/11 pouvait déplaire au gouverneur de Floride Jeb Bush, frère du président Bush ; cela aurait pu mettre en danger les millions de dollars d'allègements fiscaux que Disney reçoit de l'État de Floride.

Après plusieurs mois de tractations, les studios ont finalement donné leur autorisation sur la vente des droits du film aux frères producteurs Weinstein et ceux-ci ont ainsi pu trouver un autre distributeur.

C'est la première fois depuis 1956 que la récompense suprême est attribuée à un documentaire – cette année-là, elle avait été remportée par Le Monde du silence de Louis Malle et Jacques-Yves Cousteau. Michael Moore avait déjà décroché deux ans auparavant le Prix du 55e anniversaire du Festival de Cannes pour son précédent pamphlet, Bowling for Colombine.

Et alors que le ministre des Affaires étrangères français, Dominique de Villepin, refuse de soutenir l’armée américaine en Irak, l’annonce de la Palme d’or fait l’effet d’une bombe diplomatique. On pourrait croire que cette attribution, dans le cadre du festival français, ne serait  qu’une continuité de la politique étrangère du gouvernement. Le Festival aurait-il renoué avec ses vieux démons mêlant parfois diplomatie et concours cinématographique ?

Le Festival de Cannes, en tant que plus grand concours cinématographique du monde, subit parfois des influences extérieures, conséquences des grands conflits ou accords internationaux. Les menaces quotidiennes d'alertes à la bombe ou d'attentats lors de l'édition de mai 2002, juste après les événements du 11 septembre aux États-Unis, constituent un exemple édifiant des répercussions des tensions sur la manifestation.

Cependant, le prix attribué à Michael Moore en 2004 n’est pas une simple répercussion de l’actualité. En effet, le plus étonnant n’est pas que le film ait reçu la Palme d’or mais bel et bien qu’il ait été sélectionné dans la compétition.

L’attribution de la récompense est le simple fait du jury de cette année-là, présidé par le réalisateur américain Quentin Tarantino. En revanche, sa sélection en compétition officielle est bien plus surprenante puisqu’elle a été validée par le ministère des Affaires étrangères longtemps avant le début de la manifestation. Et cette sélection est représentative de la nouvelle ère du Festival de Cannes qui, depuis 1968, s’est libéré peu à peu des pressions politiques et diplomatiques.
C’est en retrouvant cette liberté de sélection que la manifestation a pu véritablement évoluer et remplir son rôle – également par le biais des sélections parallèles. Le Festival, débarrassé de ses chaînes, a pu ainsi se tourner vers l’avenir.

Cannes : vers le public de demain

60e Festival de Cannes Palais

Contre toute attente, en ouverture de son 60e anniversaire, le Festival de Cannes s’interroge. Des professionnels du cinéma et des nouveaux médias, des journalistes et sociologues sont venus discuter et s’offrir un moment de réflexion, à l’invitation des responsables cannois, autour des enjeux de la prochaine décennie.

Quelles seront les pratiques des spectateurs de demain ? Quels seront les liens entre création cinématographique et nouvelles plates-formes de promotion et de diffusion ? Autant de questions que se posent aujourd’hui les professionnels du cinéma et les dirigeants des festivals mondiaux face à l’offre multiple des technologies numériques.

Ce sont plus de 300 participants qui sont venus du monde entier pour échanger leurs idées sur « le cinéma de demain ». Ces personnalités qui travaillent dans le secteur des nouvelles applications numériques ont partagé leurs points de vue sur l’impact des mutations technologiques et leurs répercussions sur le marché international du film.

Au cours d’un grand débat, les participants ont apporté des éclairages divers et contrastés sur le marché du cinéma de demain : déploiement des réseaux de salles numériques, numérisation des contenus et nouveaux procédés de diffusion comme le téléphone mobile. Le rôle essentiel des festivals de cinéma a été mis en lumière dans l’accompagnement et le soutien à la création cinématographique au sein de cet environnement en constante mutation.

Les conclusions de cette rencontre ont été remises aux ministres de la Culture de l'Union Européenne lors de leur rencontre avec Viviane Reding, commissaire pour la Société de l'information et les médias, à l'occasion de la Journée de l'Europe – qui s’est déroulée à Cannes en mai 2008. Cette réflexion doit aider les festivals européens et le monde du cinéma de l’UE en général à saisir les opportunités de la révolution numérique pour faire face aux défis du millénaire, c’est-à-dire une exploitation efficace des nouvelles plates-formes de distribution et d’exploitation pour favoriser la création d’œuvres cinématographiques européennes et la diversité culturelle.

La création cinématographique de l’Union Européenne en construction a pris une place importante dans le paysage mondial cinématographique et, il va de soi, dans les sélections cannoises.

Les films européens à l’honneur

Björk et Catherine Deneuve
Björk et Catherine Deneuve
Les années 2000 ouvrent la voie au cinéma européen ; sur les neuf Palmes d’or attribuées jusqu’en 2008, six reviennent à des pays du « vieux continent » et deux aux États-Unis.

La série est inaugurée par le danois Lars on Trier avec Dancer in the dark et les frasques de l’actrice-chanteuse Björk. Suivent La Chambre du fils (La Stanza del figlio) de l’italien Nanni Moretti, The Pianist de Roman Polanski, film qui concourt sous la bannière de l’Europe, L’Enfant des frères Dardennes et Le Vent se lève (The Wind that shakes the barley) de Ken Loach ; en 2007, le cinéma roumain remporte sa première Palme d’or avec 4 mois, 3 semaines et 2 jours (4 luni, 3 saptamini si 2 zile) de Cristian Mungiu. Et, l’année suivante, c’est au tour de la France de recevoir la récompense suprême avec une œuvre originale Entre les murs de François Bégaudeau ; ce prix était espéré par le cinéma français qui attendait depuis vingt et un ans d’être à nouveau au sommet de l’affiche.

De nouveaux pays d'Europe de l'Est, tel que la Bosnie, font leur entrée au Festival, tandis que les sélections se diversifient et s'ouvrent encore plus aux représentants du cinéma mondial, pour promouvoir de nombreux auteurs asiatiques, sud-américains, orientaux ou africains.

L'édition cannoise de 2002, entre autres, témoigne de cette diversité et de cette recherche de lieu pacifié au sein d’un monde en mal d’unité. La sélection d'un film palestinien Intervention divine (Yadon ilaheyya) de Elia Suleiman et d'un film israélien, Kedma de Amos Gitaï, alors que les tensions entre les deux peuples étaient vives, en est un symbole fort.

Le Festival de Cannes qui entre dans le millénaire cherche à s’imprégner de son époque et, à chaque édition, il tente de suivre un monde en pleine mutation. Fidèle à sa mission, il met en valeur la production du cinéma mondial, aujourd’hui sans contrainte diplomatique.

Thierry Frémeaux, délégué général, a pris en compte ce nouvel état du monde et la place que doit prendre le Festival de Cannes : « Après le soixantième anniversaire qui a marqué l’édition 2007, un nouveau cycle s’ouvre sur la Croisette. Un cycle naturel d’abord, parce qu’une nouvelle scansion commence qui nous mènera jusqu’au 70e  anniversaire en 2017. Un cycle symbolique aussi, parce qu’une question nous brûle les lèvres et les yeux : à quoi le Festival de Cannes ressemblera-t-il dans dix ans ? Nul ne le sait encore – surtout pas nous ! – et pourtant, il nous faut anticiper cet avenir, le deviner, l’encourager. Cannes est un bien collectif que chacun, là où il se trouve et à sa manière, construit pierre à pierre, année après année. C’est en ne cessant jamais de l’interroger, d’en déplacer la fonction et d’en susciter le commentaire, qu’on lui rendra le meilleur service » conclut-il.