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Les oiseaux du paradis

Maman s’est envolée le 25 janvier 2021 des suites ravageuses du ou de la Covid. Du de la, peu importe. Le monstre ne mérite aucune détermination. Ce fut brutal. Comme un couperet. Chaque jour je sortais dans ce beau jardin. Je m’abritais sous les camélias en fleurs et appelais le secrétariat de l’unité Covid. Sas d’interdiction.

Votre Maman est une guerrière vous savez.

Le lendemain la mort l’avait fauchée.

Si violent.

De sa voix terrorisée elle susurrait sa peur.

Je m’accrochais chaque jour au téléphone. Sous les camélias en fleurs. Une cachette. Ma cachette pour ne pas ébruiter mes peurs. Ni ma rage intérieure. Ni mon chagrin. Je m’échappais du monde et de mes obligations quelques instants. Chaque jour. À la même heure. Comme un rituel. Je lui envoyais des messages qu’elle ne lirait plus jamais.

Mes frères et moi étions interdits de la voir. J’aurais dû désobéir à ces injonctions d’autorité. Ces injonctions d’inhumanité. Glaciales.

Je lui disais des choses jolies à travers ce combiné qui nous reliait. Comme un fil d’or. À mille kilomètres l’une de l’autre. Je lui disais à quel point nous l’aimions. Je voulais l’inonder de mots d’amour. De légèreté.

Je lui disais. Tu sais Maman, on fera ci et puis on fera cela. Je t’emmènerai en Normandie. Nous irons au bord de la Mer. Nous verrons ta sœur. Nous dégusterons des fruits de mer. Tu sais. Ceux que tu aimes. Tu sais les praires avec les petites coques.

Je l’abreuvais de promesses comme des chimères.

Jour après jour son souffle s’égarait. Lorsqu’elle décrochait de sa petite main de vieille dame fragile à la peau de pêche le combiné je n’entendais plus que des sonorités de machine et le crissement effrayant d’une couverture de survie. Puis plus rien. Plus tes mots Maman. Il ne sortait plus aucun son de ta bouche. Juste un souffle qui se raréfie. Je voulais entendre ta voix si douce. J’avais peur de la perdre à tout jamais. J’avais peur qu’elle s’échappe de mes souvenirs. De mon Enfance. J’avais peur que tu t’échappes de moi.

Je voulais fuir. Prendre le train. La rejoindre. Je voulais tout casser. J’hurlais. Je veux voir maman. Je veux la voir. Allez tous vous faire foutre. Tous. Tous. Je veux ma mère. Maman. Maman.

Tu ne peux pas. Apaise toi je t’en prie.

Je voulais juste voir ma mère. Caresser ses joues si douces. Sa peau de pêche. Je voulais embrasser ses mains. Me serrer contre son petit corps fragile. Abîmé. Je voulais lui susurrer des mots doux. Des mots drôles. La gratifier de ma reconnaissance infinie. La remercier. Lui dire au revoir.

Dignement. Avec élégance.

J’en fus interdite.

Son visage était apaisé m’avait on dit. Tournée vers la fenêtre. Vers le ciel de son enfance. Vers les souvenirs de son enfance. À Feuillères. Elle serait hissée dans une housse en plastique. Irait dans un sas de décontamination. Ses effets personnels aussi.

Maman aurait voulu être jolie dans le pull framboise que mon frère lui offrit à Noël. Elle aurait porté ce beau bracelet et sa pierre bleue autour du cou. Je voulais t’apporter une valise et bien la préparer. Y ranger tous nos souvenirs. Ceux de notre vie. Je voulais te dire au revoir. Mettre ce joli foulard autour de ton cou. Pour que tu n’attrapes pas trop froid là-haut. Les saisons sont-elles les mêmes qu’ici.

Je suis allée chercher Papa dans son urne bleutée. Il était temps qu’il regagne le pays des bulles et quitte les rives de la Méditerranée. Je l’ai hissé sur mon vélo. Il aurait ri. Son rire si charmant. Il aura voyagé avec moi. Près d’un bouquet de Mimosas du jardin.

Il était temps que vous vous retrouviez. Enfin.

Au-delà de mon inconsolable chagrin égoïste je pense aux oiseaux de paradis qui se sont envolés trop tôt. Fauchés comme les blés. Si seuls sans que leurs proches ne puissent déposer sur leurs joues duveteuses une caresse ni sur leur front un baiser d’Adieu.

Je ne remercie pas les gradés de la housse ni les gradés du matricule. Ni les appelez plus tard. Ni les aficionados de protocoles surréalistes et inhumains à cette époque.

Je pense à ceux et celles qui ont fait preuve de bienveillance et d’humanité. Qui ont été obéissants mais pas trop et qui auront permis à mon frère de l’apercevoir. De la voir à la dérobée. Un soir. En douce. Je salue ceux qui l’auront accompagnée. Avec douceur. Je salue leur courage.

Elle lui aura dit de sa voix fatiguée et haletante. Je rêve d’un bon repas avec vous mes enfants.

À tous nos envolés. À tous ces oiseaux de paradis. Si brutalement fauchés.

Le soir parfois, je vois leurs ailes multicolores froufrouter au-dessus de ma tête. Je souris. Et pleure aussi. Je pense à toi. Je pense à eux. Par égard pour eux je rirai et goûterai allègrement le goût de la Vie.

Véronique A.

Pour toi.

Je remercie Stéphanie Bataille qui a collecté nos mots et notre désarroi et a écrit un livre pour rendre hommage à tous les oiseaux de paradis.