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Ludivine - Hommage aux soignants

Le regard de Ludivine, si profond et intense me toucha en plein cœur.

J'en fus complètement ébranlé, déstabilisé. Cet instant ne dura qu’une seconde, mais son souvenir s'avérait déjà éternel. La force de son regard, si ferme et en même temps si délicat, me laissa médusé. J'étais fasciné par l'énergie inébranlable qui se dégageait de cet être. Elle semblait être en lutte, engagée dans un combat, enrôlée dans une guerre sans merci. Il n'était pas question de lâcher prise. Il n'était pas question d'être faible, le monstre était de taille et il fallait coûte que coûte en sortir victorieux. La peur se décelait dans ses yeux mais elle s'effaçait devant son courage et sa détermination sans faille.

Elle était consciente que chacun de ses actes engageait la vie d'une autre personne, consciente que ses actions engageaient l'humanité tout entière.

Il me sembla alors la connaître depuis toujours. Son regard ne m'était soudain plus inconnu. C'était celui d'une personne que j’avais dû connaître dans de lointaines vies passées. Elle travaillait avec tant d'ardeur, de dévouement et d’énergie qu'il me sembla qu'elle dansait, tourbillonnait autour de moi. J’en oubliai l'espace d'une seconde ma douleur. Je restais stoïque, comme hypnotisé par ce regard échangé. Pendant un instant, je crus que mes souffrances s’étaient évaporées, que d'un seul regard c'était tout le malheur des hommes qui s'était éteint. Parfois, il faut savoir cueillir la beauté dans les yeux de celui qui regarde car ce sont des moments d'harmonie, de félicité qui ne repasse pas toujours.

Elle attrapa ma main d'un geste vif mais délicat comme si ma peau était de la porcelaine. Elle effleura soigneusement de son doigt mon avant-bras, me tendit la peau et y fit pénétrer une aiguille. C'est à cet instant que rassemblant le peu de force qu'il me restait, je lui murmurai :

- Qui êtes-vous Madame ?
- Je m'appelle Ludivine. Je suis infirmière. Je vais m’occuper de vous. Tout ira bien Monsieur.

Le ton de sa voix était franc et apaisant. Ces yeux étaient dessinés en amande et d’une couleur vert émeraude. Bien que son visage était partiellement dissimulé derrière une charlotte et un masque, j'entrapercevais des cheveux roux, mi longs qui ondulaient au niveau de sa nuque. Son visage avait des traits fins et harmonieux et sa peau orangée, lui donnait un teint des plus lumineux. Je la trouvais jolie Ludivine.

Ludivine est infirmière. Elle ne compte pas ses heures, ne rechigne pas à la tâche et ne se plaint jamais. Son travail n’est pourtant pas facile avec des horaires décalés, souvent de nuit et de week-end. Le salaire n’est pas très élevé, même plutôt maigre mais cela l’importe peu car ce qui l’anime Ludivine, c'est la Passion : la passion de son métier, la passion de son prochain, la passion de faire le bien.

Mais soudain mon cœur se mit à palpiter. Des douleurs atroces se propagèrent dans tous les membres de mon corps. J'étais alité et chaque mouvement était une vraie torture. Mes poumons me faisaient horriblement mal. Ma respiration, de plus en plus difficile, me demandait des efforts herculéens. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Hier encore j'allais bien et aujourd'hui je me mourrais. Je pensais mon heure venue. D’une voix vacillante et dans un dernier effort, je m’adressais de nouveau à elle :

- Je voulais dire… Qui êtes-vous vraiment ?
- Je ne comprends pas ? Que voulez-vous dire ? Je suis là pour vous aider. Je viens de vous administrer un antalgique, cela devrait atténuer vos douleurs.

J’aurais voulu poursuivre cette conversation mais plus aucun son ne voulait sortir de ma bouche. Je commençais à divaguer. Mon esprit devint alors confus. Je n'en pouvais plus. Je me sentais partir. Je m'endormis.

À mon réveil, je n'avais plus aucun souvenir des derniers jours écoulés. Ludivine n'était plus là. Je demandai incessamment à chaque personnel de l'hôpital qui me visitait où elle se trouvait et si je pouvais la revoir. Je la décrivais du mieux que je le pouvais. Mais rien. Ludivine semblait n’avoir jamais existé. Avait-elle changé de travail ? Lui était-il arrivé quelque chose ? Pourquoi personne ne s’en souvenait ?

Les jours passèrent et je fus saisi d'un doute. Et si Ludivine n'avait tout simplement jamais existé. Et si c'était simplement le fruit de mon imagination ?

C'est alors qu’une femme rentra dans ma chambre. Je croisai son regard. C'était Ludivine ! Cela ne faisait aucun doute, je ne pouvais pas me tromper. Ce regard je le connaissais. Je fus alors saisi d’une vive émotion. Son teint de peau était pourtant plus mat et ses cheveux couleur chocolat étaient tressés en queue de cheval. Malgré cela, je voulais toujours y croire et je ne pus m’empêcher de l’interpeller :

- Ludivine ? Est-ce bien vous ?
- Ludivine ? me répondit-elle surprise. Non je m’appelle Nadia. Je suis aide-soignante. Qui est Ludivine ? Une amie à vous ?
- Non… Je pensais que… répondis-je avec hésitation avant de reprendre. Veuillez m’excuser, je dois vous confondre avec quelqu’un d’autre.
- Ce n’est pas grave, cela arrive parfois. Il est vrai qu’avec notre équipement de protection nous nous ressemblons toutes! s’exclama-t-elle en souriant et en achevant ses soins.

Aujourd'hui, je rentre chez moi. Les médecins m'ont dit que tous les voyants étaient au vert mais que j'avais eu beaucoup de chance. Je débarrasse mes affaires et passe la porte de ma chambre. Je scrute une dernière fois les couloirs dans l'espoir de la revoir. En vain.

- Au revoir Ludivine et merci, chuchotais-je

C’est à cet instant que tout devint plus clair. Je compris que Ludivine avait bel et bien existé. Depuis le début, elle avait toujours été présente et avait pris soin de moi au quotidien. Elle était le regard de chaque soignant, de chaque infirmière, de chaque médecin et de chaque personnel de l’hôpital qui avait contribué à mon rétablissement. Elle était ce regard qui m’avait accompagné et soutenu dans la douleur, celui qui avait séché mes larmes et m’avait tenu la main.

Ce regard ne dura qu’un instant mais j'en fus marqué à vie, tel un cheval qu'on marque au fer.

Ce regard m'a sauvé la vie.

Je ne l'oublierai jamais.

Paul