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Intergalactic Steel Games

Prix de l’anticipation

De Jean-Marc Geffrier

Situé face à la réserve ornithologique des îles de Lérins, l’astroport du Palm Beach était en pleine effervescence. Aujourd’hui, on recevait l’invitée d’honneur, Azvenia Kutarachi, édile de Nahoé et envoyée spéciale de Midori, la planète verte du système solaire Pegasi.

À 12 h précises, stabilisée par son moteur antigravitationnel, la nef midorienne se posa avec un léger bourdonnement. À sa descente, l’ambassadrice fut accueillie avec une impatience non feinte par Frédéric Arthaud, échevin de Cannes, ministre international des sports et de la culture. Certes, la venue de cette diplomate avait une double intention. La première, dans le cadre du jumelage de Nahoé avec celle de Cannes, capitale mondiale des sports urbains, et la seconde à l’occasion des 25e Intragalactic Steel Games, une compétition qui se tenait tous les trois ans aux premiers jours de l’été dans la citée cannoise.

Pour l’occasion, Frédéric Arthaud était vêtu d’un costume bleu ciel, à l’image de ses yeux, faisant ressortir son teint hâlé et son extraordinaire chevelure argentée. Son invitée, légèrement plus grande, portait une tunique immaculée, avec pour seul bijou un collier de pierres fuchsia de la plus belle eau. Ses yeux en amande étaient comme deux diamants qui lui donnaient un regard énigmatique, ses longs cheveux d’opale aux reflets d’or étaient relevés en un savant chignon. Elle avait une peau d’ocre rouge et un visage humanoïde aux traits fins et harmonieux.

 

Nahoé et Cannes avaient cette particularité d’être toutes les deux situées au bord de la mer et de promouvoir les sports urbains dans un environnement qui respectait l’équilibre de la nature. Mais la ressemblance s’arrêtait là, car, contrairement à la mégapole madérienne, Cannes avait le privilège géographique de se trouver à proximité de montagnes qui se couvraient de neige en hiver. Une singularité que l’on retrouvait uniquement sur trois autres planètes habitées de la Voie lactée.

Ouvrons une petite parenthèse afin de préciser que hormis les sports urbains, Cannes était connue pour son mythique Festival interplanétaire du film et le #MIDSM+, le célèbre marché intergalactique de la danse et de la musique. La cité était également renommée pour ses académies spécialisées dans la création cinématographique à laquelle étaient associés les conservatoires et les écoles de théâtre, de danse et de musique. Les échanges d’étudiants et d’enseignants entre les universités à travers la galaxie se faisaient dans le cadre du programme Polyphile.

 

En l’honneur de l’ambassadrice, une collation fut servie dans « Le Jardin des saveurs et des senteurs » sur la terrasse du marché Forville, un bâtiment inscrit au patrimoine de l’UNESCO depuis le milieu des années 2000, voilà bientôt 400 ans. Ajoutons qu’un ingénieux système transmettait les variations électriques des fleurs sur un décodeur qui restituait les sons harmonieux d’une musique botanique.

Une toile légère était tendue au-dessus des tables et des buffets, laissant passer la lumière du soleil tout en occultant la virulence de ses rayons. D’un autre côté, ce même soleil fournissait toute l’énergie nécessaire au bon fonctionnement de la cité ainsi qu’à tout ce qui roulait, volait ou naviguait.

Toute l’année, le marché couvert offrait un superbe éventail de fruits, légumes, fromages et autres délicatesses. Quant à son pourtour, c’était un bazar d’échoppes qui proposaient une variété de plats à déguster sur place ou à emporter.

Dès le début de leur rencontre, Frédéric ne lui étant pas indifférent, Azvenia déploya toute sa séduction dans l’idée de l’attirer dans ses filets. Et lui, il la laissa faire avec le plus grand plaisir. Mais nous reviendrons plus tard sur ce sujet.

 

« Entrez dans le monde des sports extrêmes ! ». Tel était le slogan qui s’affichait aux murs de la ville avec la photo d’un skateur s’envolant sur un fond de palmiers et de ciel bleu.

Les Steel Games étaient un événement majeur qui attirait une foule considérable, sans compter les retransmissions télévisuelles avec des centaines de milliards de téléspectatrices et téléspectateurs connectés 24 h sur 24 à travers la galaxie. À cette occasion, le nombre d’habitants était multiplié par cinq. La ville accueillait ce surplus de visiteurs sur des îles artificielles végétalisées flottant à quelques encablures de la côte.

La ville en liesse allait vivre deux semaines de compétitions où se mesureraient les plus grands champions et championnes de la galaxie. Les meilleurs athlètes de 190 planètes, sexes et genres humanoïdes confondus qui concouraient seul·e·s ou en couples. Toutefois, ces jeux étaient réservés aux organismes respirant un mélange gazeux identique à celui de la Terre.

En ouverture, l’ambassadrice Azvenia Kutarachi donna le départ du triathlon par couple depuis le ponton de Bijou plage. Au programme : 2 km de natation où chaque couple était relié par une cordelette, puis 100 km en tandem et un semi-marathon avec le même principe que pour la nage – toute rupture de lien étant disqualifiante. Dans l’après-midi débutèrent les premières épreuves de qualifications pour la finale de la course en descente de Super-Cannes sur skateboards courts — avec virages relevés — qui aurait lieu six jours plus tard. Les compétiteurs partaient en ligne par groupe de dix.

À la nuit tombée, sur le plan d’eau de l’ancien port, commencèrent les éliminatoires des combats nautiques que l’on appelait jadis les joutes provençales. À cette occasion, on ressortait les barques d’autrefois entretenues et conservées comme des trésors.

Ainsi, les épreuves se suivaient jour après jour. Les affrontements en simple ou en double concernaient des disciplines telles que la course de canoë-kayak autour des îles de Lérins ; le slalom spécial et le slalom géant en longboard ou bien le patinage artistique en roller quad qui incluait trente minutes de figures imposées, un exercice exténuant par le niveau demandé.

Pour les individuels : le record de longueur en apnée le long des plages du Midi ; les courses en rollerblade par catégories de poids sur l’anneau de vitesse du stadium de la Bocca ; le Park et le Street en skateboard sur ce qui avait été l’aérodrome de Mandelieu ou encore le cross-vélo des plages. Au total, plus d’une vingtaine de disciplines, sans oublier les démonstrations de sports collectifs : handball volant, roller-hockey ou beach-volley à quatre.

 

Tout se passait pour le mieux et Frédéric Arthaud s’en félicitait. Toutefois, les choses ne se passèrent pas comme il l’aurait voulu. Au septième jour des compétitions, au lendemain du marathon intra-muros, la fête fut en partie gâchée par un regrettable épisode. En effet, les polymorphes du monde de Yasil avaient organisés une tricherie pour gagner le dit marathon. Mais un commissaire de course s’aperçut de la supercherie et expulsa de l’épreuve tous les Yasiliens. Hélas ! Les représentants de la planète Mélus profitèrent de cet événement pour tenter de régler leur compte avec ceux de la planète Yalis. Cela commença par quelques agressions entre les deux camps dont celle d’une athlète méluséenne qui aggrava la situation.

Les deux planètes ayant transporté leurs récents antagonismes hors de chez eux, elles menacèrent d’envoyer leurs troupes sur Terre. Des provocations qui firent long feu face à la mise en garde des autres membres du comité intergalactique des Steel Games qui regroupait plus d’une centaine de planètes.

Avec plusieurs blessés dans les deux camps, il y eut l’intervention musclée de la brigade équestre et l’affaire se conclut par l’éviction des représentations méluséennes, mais également des Yasiliens pour tricherie. Ils furent renvoyés à leurs différends et interdits de jeux pour les six prochaines années.

À la suite de ce stupide contretemps, Frédéric Arthaud fit une conférence de presse : « À Cannes, lança-t-il en conclusion, nous ne sommes pas aux jeux du cirque ! Pour cela, il y a le Rocher tout proche dont c’est la spécialité 365 jours sur 365. »

Dès lors, les jeux purent continuer dans la paix et les applaudissements jusqu’à l’épreuve finale : le triathlon Steelman. Les athlètes se mettaient en condition avec 4 km de natation en partant de Bijou plage, puis le long de la Croisette pour arriver à la plage du Midi. S’en suivaient 200 km à vélo au départ du square Mistral en direction d’Antibes puis Biot, Mougins, Grasse, Pégomas, Mandelieu-La-Napoule, Cannes : une boucle à répéter trois fois. Le marathon empruntait le même parcours que celui du sixième jour.

 

Un gigantesque feu d’artifice tiré de plates-formes volantes au-dessus de la mer donna la touche finale de ces 25es Steel Games, puis la ville laissa place à la musique avec des bals et des concerts dans chaque quartier.

En revanche, l’idylle entre Azvenia et Frédéric avait pris un tournant majeur, dans le sens où, durant le dîner officiel de clôture avec plus de deux mille invité·e·s sur les terrasses étagées du Palais des festivals, les tourtereaux s’échappèrent discrètement.

Vous devez savoir que la belle ambassadrice avait ce phantasme d’être aimée sur la plage sous un ciel étoilé avec le risque encouru, mais tellement excitant, d’être vue.

Parmi les officiels, on commençait à s’inquiéter de cette escapade inattendue en complète contradiction avec l’étiquette diplomatique. Quel soulagement lorsque, au bout d’une très longue heure, on les aperçut enfin revenir main dans la main comme n’importe quel couple d’amoureux. Bien évidemment, personne n’osa évoquer ce qui s’était passé au bord de l’eau.

En cadeau d’au revoir, Frédéric offrit à Azvenia un exemplaire magnifiquement illustré du Kama sutra caché dans un écrin de velours rouge.

Deux jours plus tard, il reçut un message sur son spacephone : « Merci Frédéric pour ce fabuleux présent. Je vous attends avec impatience afin que nous étudiions ensemble ce recueil envoûtant et les activités dont il traite. Pouvez-vous venir me voir au plus vite ? Je vous envoie une invitation officielle. »

« Yes, I Cannes ! » répondit Frédéric avec humour.